Extraits de l’introduction et de la préface (par Patrick Awondo) du livre La Main devant le soleil, Expériences militantes et homosexualités en Afrique francophone, 2014, Éditions Le Tamis, Marseille.
Du déni à la reconnaissance
(Extrait de l’introduction)
Dans la nuée des idées reçues et colportées sur le continent africain, celle selon laquelle l’homosexualité serait une déviance d’origine « occidentale », étrangère aux « cultures africaines », persiste et signe d’une encre tenace, et en fait couler abondamment sur les pages de presses. Ce rejet farouche découle des relations socio-politiques complexes, historiquement sédimentées, qui lient le continent avec le reste du monde. Des travaux récents montrent, en effet, comment l’entreprise coloniale a pu propager ses propres conceptions des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, notamment par le biais de lois répressives des métropoles promulguées dans les colonies. Le plus souvent maintenues par les administrations des États devenus indépendants, ces dispositions répressives ont été réappropriées et retournées de manière inédite contre les anciennes puissances coloniales. Ainsi, pour beaucoup, l’homosexualité incarne aujourd’hui « l’Occident décadent », et la lutte contre cet héritage exogène présumé est utilisée comme un moyen d’affirmation de la singularité et de la souveraineté des États africains face à la communauté internationale.
Le milieu scientifique a, quant à lui, longtemps ajouté son silence à propos des pratiques homosexuelles sur le continent. Alors que des ouvrages et témoignages historiques, parfois antérieurs au XXe siècle, évoquaient l’existence de pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, il faut attendre les années 2000 pour que les chercheurs en sciences sociales s’intéressent à la question et fassent, selon l’expression de Christophe Broqua, la « découverte scientifique » de l’homosexualité en Afrique – masculine, essentiellement. Cette « découverte » est étroitement liée à la lutte contre le sida, mais avec un décalage surprenant. En effet, dès l’apparition de l’épidémie du VIH/sida dans les années 1980, les homosexuels masculins sont considérés, aux États-Unis et en Europe, comme un « groupe à risque » et focalisent l’attention des chercheurs. Mais tandis que l’épidémie se répand rapidement sur le continent africain, sa transmission hétérosexuelle est la seule à être reconnue et prise en charge. Après deux décennies de latence, la lutte contre le sida joue finalement un rôle dans le processus de visibilisation de ces pratiques.
En effet, quelques travaux précurseurs lèvent peu à peu le voile sur les pratiques homosexuelles du continent et témoignent de la vulnérabilité, tant sociale que sanitaire, des hommes concernés. Les conférences internationales sur le sida de Bangkok (2004) et de Toronto (2006) impulsent rapidement une dynamique de recherche d’envergure internationale, s’attachant à documenter les pratiques des hommes ayant des relations homosexuelles dans des contextes sociaux, économiques et sanitaires variés. Ainsi, ces premières études montrent que, sur le continent africain, ces hommes sont fortement exposés au risque de contracter le virus : en plus des risques accrus de transmission par voie anale, les discriminations et stigmatisations dont ils sont l’objet les éloignent des consultations médicales et des contenus de la prévention, amplifiant les risques de contamination. En objectivant la dimension homosexuelle de l’épidémie en Afrique, ces études légitiment la prise en charge de ces hommes par la santé publique qui, dès lors, les affecte à la catégorie de « groupe-cible » des actions mondiales de lutte contre le sida.
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(Extrait de la préface)
par Patrick Awondo
(…) Au cours des deux dernières décennies, l’oeuvre de documentation des expériences africaines au sujet de l’homosexualité, a surtout porté l’accent sur l’analyse des polémiques et des dynamiques liées à l’homophobie. Il est vrai qu’il se passe difficilement un mois entier sans qu’un acte d’homophobie ne soit signalé dans l’un des pays concernés par les récits présentés dans ce livre. Par ailleurs, il reste beaucoup à dire sur les dispositifs légaux à l’encontre des pratiques homosexuelles et des identités de genre non-hétérosexuel, ou sur les discriminations dans l’accès aux services de santé pour une partie des personnes concernées. De façon générale, les personnes affichant leur engagement, en tant que personnes homosexuelles militant contre le sida, en payent le lourd tribut. Les narrateurs des récits présentés dans ce recueil, vivent un quotidien tissé de peurs, dans lequel la violence risque à chaque instant un devenir endémique. Les figures de cette brutalité, à laquelle les militants africains doivent faire face, oscillent entre persécution policière et harcèlement familial. Ce tableau s’inscrit dans des contextes où pèse un certain conservatisme culturel et religieux et où s’exercent des politiques néfastes aux libertés individuelles. Il en va de même des accusations faites aux personnes homosexuelles d’appartenir à des cercles ésotériques, dans lesquels l’homosexualité serait une modalité de passation du pouvoir, et par conséquent, une figure du « mal » – accusations renforcées, en Afrique Centrale, par un retour en force de l’exorcisme. Dans ce sillage, sont entretenues des confusions scandaleuses entre homosexualité et franc-maçonnerie, ou encore homosexualité et pédophilie. Dans la banalisation de la parole de haine anti-homosexuelle, le Christianisme et l’Islam sont engagés dans une course effrénée dont les résultats, en terme de renforcement des stéréotypes et de stigmatisation des personnes soupçonnées d’homosexualité, sont nettement perceptibles. La force de tels imaginaires ne devrait pas être négligée. Partout, les médias répandent impunément des idées liberticides, sexistes et homophobes. Sous le fallacieux couvert d’une moralisation des sociétés, ces « paniques morales » ouvrent une véritable chasse aux sorcières. Qui a oublié la publication de ces listes de personnalités camerounaises accusées d’homosexualité, et ses conséquences dramatiques ? Le même scénario s’est reproduit deux ans plus tard au Sénégal, accompagné cette fois des photographies de jeunes hommes accusés d’homosexualité, et aboutissant aux mêmes résultats, c’est-à-dire des arrestations de personnes jugées comme transgressant les normes de sexualité et de genre. Autant de situations de violence qui font reculer la réponse à l’épidémie du sida, pourtant décrétée comme enjeu majeur de santé publique.
La « question homosexuelle » semble alors, le plus souvent, être un instrument dans les mains de personnalités de tous ordres – journalistes, responsables religieux, intellectuels, politiciens ou jeunes leaders en quête de popularité – qui usent de postures pseudomoralistes et nationalistes légitimant leur discours et participent à faire de l’homosexualité une figure de l’anti-impérialisme culturel. Encouragés par les manifestations anti-homosexuelles de pays occidentaux comme la France, où une partie de la population s’est opposée au « mariage pour tous », les anti-homosexuels rêvent, depuis le continent africain, à une coalition transnationale. La question de la possibilité d’une mobilisation à même de freiner le développement de l’homophobie se pose, dès lors, chez les observateurs de tous les horizons.
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« Qu’on le veuille ou non, les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes existent. Il faut faire avec cette population. Comme on dit chez nous, on ne cache pas le soleil avec la main. Tu as beau le cacher, le soleil est toujours là ! Ces hommes existent, on le sait. Il faut s’occuper d’eux, et c’est tout. »
La main devant le soleil sur le site des Éditions Le Tamis.