Algérie : « Homosexualité, ou la mort sociale »

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Un article sur l’homosexualité en Algérie publié par Le Monde diplomatique en août 2014, un second de juin 2010 du blog A corps à coeur.

Sexe, jeunes et politique en Algérie

Homosexualité, ou la « mort sociale »

par Pierre Daum, août 2014

A première vue, comme le dit Latifa, une lesbienne rencontrée à Oran, « la vie des homosexuels est beaucoup plus simple et joyeuse en Algérie. » En effet, dans cette société où chacun vit cloisonné entre personnes du même sexe depuis le plus jeune âge, les possibilités de rencontres et de plaisirs homosexuels sont beaucoup plus nombreux. A 15 ans ou 25 ans, un garçon peut faire venir son amoureux à la maison, s’enfermer avec lui dans sa chambre, et même lui proposer de passer la nuit, sans que ses parents n’y voient malice. Pareil pour les filles. A 30 ans, 40 ans, deux hommes ou deux femmes peuvent partir en week-end, louer une chambre double à l’hôtel, personne ne dira rien.

Zoheir Djazeiri est un activiste important parmi les homosexuels algériens. Militant à l’association Abu Nawas (1), son action est strictement clandestine, et Zoheir Djazeiri (Zoheir L’Algérien) est un pseudonyme. « Tout cela est vrai, admet-il, mais attention, le pendant négatif est très lourd ! Nous vivons dans une société machiste. Etre homosexuel, pour un mec, c’est se dégrader au niveau inférieur de la femme. » Sans parler de la loi, qui réprime très durement ces pratiques à la fois « contre nature » et interdites par la religion d’Etat, l’islam (article 2 de la Constitution) (2). « Se faire arrêter pour homosexualité signifie la mort sociale, poursuit Zoheir. Tu es obligé de tout quitter : ta ville, ta famille, ton travail, tout ! » Détail important : En Algérie, aucun avocat n’est prêt à défendre publiquement les homosexuels. « Sa carrière serait ruinée. »

Malgré cela, non seulement il est possible d’avoir une vie homosexuelle, avec ses lieux de rendez-vous, ses bars et ses cabarets à Alger, Oran et Bejaia, mais beaucoup d’hétérosexuels algériens ont des pratiques homosexuelles : à l’école, lors du service militaire, à la cité U, etc. « La femme étant un produit rare, on se rabat sur les hommes. », rigole Mourad, 25 ans, rencontré à Alger, qui ne sait pas « si [il] préfère les hommes ou les femmes ». Un universitaire français travaillant sur l’homosexualité masculine à Alger raconte : « Les copains homos que j’ai rencontrés il y a huit ans sont tous en train de se marier. Avec le mariage, ils cessent plus ou moins leur vie homosexuelle. »

Tout engagement social ou politique représente un immense danger. L’association Abu Nawas, qui revendique via le Net 1.500 adhérents, est considérée par l’Etat comme une organisation faisant l’apologie d’un crime. « Nous sommes un noyau d’une vingtaine de militants, tous passibles de 10 ans de prison », explique Zoheir L’Algérien. Lors des mouvements contre un 4e mandat du président Abdelaziz Bouteflika (finalement réélu sur un fauteuil roulant le 17 avril 2014), Zoheir a dû s’enfuir pendant deux mois à l’étranger. Une chaine de télévision avait diffusé un reportage intitulé « Le complot », montrant sa photo entourée d’un cercle. A-t-il eu peur de se faire agresser, voire tuer ? « Non, ce n’est pas ça. Mais comme ma mère et les gens du quartier regardent ces chaines, j’avais trop peur qu’elle apprenne la vérité. »

Pierre Daum, Journaliste.

(1) Voir le site d’Abu Nawas. Il existe une deuxième association homosexuelle en Algérie, Alouen.

(2) L’article 333 du code pénal sanctionne l’« outrage public à la pudeur ». Et l’article 338 mentionne spécifiquement l’homosexualité : « Tout coupable d’un acte d’homosexualité est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2.000 DA. » Il est régulièrement appliqué, sans qu’aucun chiffre ne soit disponible.

Être gay en Algérie aujourd’hui

Vivant leur sexualité dans la clandestinité, les gays d’Algérie, occupent de plus en plus l’espace public et font face à une mentalité réactionnaire. Dans ce pays, où le code pénal condamne durement l’homosexualité, les gays sont confrontés à de sévères difficultés. A côté de cette bataille sexuelle, se joue aussi un combat social, déterminant pour leur avenir.

Alger : Avec ses faubourgs, ses minarets, et ses rues où déambulent les passants, un air de paix réside sur cette ville baignée par la mer et le soleil. Il est dix heures du matin. Salim, 25 ans, coiffeur aux allures de mannequin, quitte à pied son domicile afin d’aller au travail. Résidant le quartier populaire de Badjarah, à l’est d’Alger, il fait partie des gays qui vivent cachés.

Bien qu’il ait le sourire auprès de sa clientèle, il ne cache pas son désespoir.  » Je me demande pourquoi je ne suis pas comme les autres, assène le coiffeur. La vie est difficile ; pour échapper au jugement des autres, la seule solution reste la discrétion « Pour faire face à ses soucis du quotidien, Salim s’adonne à un seul plaisir, la musculation.  » Quand je vais à la salle de sport, je me sens radieux. Parfois, on peut faire de formidables rencontres. A la salle, les hommes créent parfois des affinités, alors que sur internet, on ne peut pas savoir qui se cache derrière  » raconte le jeune homme.

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Internet n’arrange pas les choses : Contrairement à certains pays arabo-musulmans, en Algérie, les sites gays ne sont guère bloqués par l‘administration. Nombreux sont les internautes qui surfent sur le web pour rencontrer leur prince charmant. Farouk, 30 ans, conseiller en communication, connaît bien le système.  » Sur le web, il s’agit de faire de la prise de rendez-vous. Pour ne pas se faire avoir, le mieux, c’est d’avoir une webcam, et de donner rendez-vous à la personne sur un lieu neutre « . Le système web n’est que la première étape. Un seul souci, la galère. Beaucoup de gays vivent soit en famille soit en couple avec leur femme. De ce fait, rares sont les gays qui peuvent se permettre de recevoir. Seule alternative : l’hôtel.  » Si on se présente à deux dans certains hôtels, le réceptionniste peut trouver que la situation est louche et nous empêcher de louer une chambre, et là, c’est cause perdue pour les gays « , déclare le conseiller.

Jeu de chat et de souris : Quand on ne trouve pas d’endroits, l’ultime solution est la fréquentation des lieux de dragues. Et là, la situation se complique, au point de voir les homos se faire embarquer par la police. Situés au centre, les principaux lieux de dragues sont l’escalier de la Pêcherie, du nom de Sahat Souhada, ainsi que la Kasbah. Dès la tombée de la nuit, les gays sont nombreux à s’y croiser. Mis à part le fait de jouer au chat et à la souris avec la police, les homos craignent d’être la cible d’agressions homophobes. Le conte de fée pourrait donc avoir des allures de cauchemar. Car c’est aussi dans ce même quartier que résident de nombreux islamistes modérés.  » Venir draguer, c’est bien. Mais même si on ressent l’air frais, dans le fond, c’est une prison, affirme Mahmoud, jeune homme de 26 ans. On a du mal à se libérer, mais les lieux de dragues sont les seuls endroits accessibles  » . Comme beaucoup de jeunes homos, Mahmoud est confronté à des difficultés sociales. Disposant d’un maigre budget, il ne peut que satisfaire ses besoins primaires.  » Si j’avais les moyens de quitter le pays, je l’aurais fait depuis un certain moment, déclare le jeune homme. La société nous rejette et la religion nous condamne. Dans tout ça, personne ne nous écoute « . Pour faire face à cette situation d’extrême précarité, l’instruction reste le seul remède.  » La seule solution, c’est la réussite professionnelle. Plus je me sens démuni, plus je me donne les moyens de me battre « .

La boïte de nuit : un luxe ! Hydra, quartier riche situé sur les hauteurs de la Capitale. C’est dans ce quartier huppé que se situe le principal endroit gay officieux ( sic : officiellement, l‘Algérie ne compte aucun endroit gay ), le bar, le Cappucino. A la terrasse, les familles dévorent des chawarma ( équivalent du kebab, NDRL ), tandis qu’à l‘étage, les gays et lesbiennes de la capitale se rassemblent.

Pour la plupart, ils ont connu Paris et le Marais. L’ambiance est plutôt bon enfant. Détendus comme ils ont l’air, les jeunes passent leur soirées à rigoler et à se connaître.  » Ici, on peut passer de meilleurs moments qu’à Paris. Bien qu’il n’ y ait pas de liberté pour les gays, tout se passe bien au Cappuccino  » résume Lotfi, étudiant en Commerce. Mais ne serait-ce pas juste une façade ? Etant une trentaine à squatter le bar, ils ne sont pas à même de représenter une part importante de la communauté LGBT établie en Algérie. Après la fermeture du bar, à 3 heures du matin, la soirée continue. Descendant la côte à bord de leurs voitures sentant le neuf, les gays les plus aisés passent leur temps à fréquenter les boîtes de nuit les plus denses. Le Pacha, night club côtoyant le prestigieux hôtel, El Djazair ( ancien Saint-Georges ), devient le deuxième quartier général des aficionados du Cappuccino.  » C’est là où y a les hommes les plus sexy de la capitale. En plus, les gens sont ouverts et accueillants, affirme Lotfi, on s’éclate comme au Queen à Paris « . Or, se payer un droit d’accès en boîte, reste bien sûr un luxe pour beaucoup de jeunes à travers le pays.

La santé en question : La situation des LGBT en Algérie est préoccupante. A côté des soucis relatifs à l’identité sexuelle, la communauté homosexuelle doit faire face à la recrudescence des cas de VIH et d‘IST ( Infections sexuellement transmissibles ). A ce jour, deux mille personnes séropositives sont recensées en Algérie. Stigmatisant les sidéens, la population intensifie de façon cruelle la culture du rejet et du mépris. Parmi les plus touchés, on retrouve comme partout : les homosexuels.  » La prévention à l’égard des gays commence à décoller en Algérie, déclare un activiste d’une association locale. Avec l’association Aides Maghreb, on met en place un projet visant à favoriser la prévention auprès de cette catégorie « . N’étant pas clairement informés des risques du VIH, les homosexuels sont en quelque sorte les  » martyrs  » de la maladie. Pour faire face à ce fléau, Yahia et son équipe en appelle à la solidarité internationale.

Ni l’Etat, ni les politiques, et encore moins la population algérienne ne porte une sensibilité à l’égard de la communauté gay. Les homosexuels n’ont qu’une seule envie : partir loin, de manière à échapper à une société qui leur fait tant de mal. La patience reste pour eux le seul moyen de faire face à cette crise sexuelle. Auront-ils assez de courage pour affronter leur différence ? Comme partout dans le monde musulman, les LGBT, n’attendent qu’une seule chose : le changement. La devise du président américain, Barack Obama :  » yes, we can  » , fera-t-elle recette, dans ce pays où le peuple a tant souffert ?

Une pensée : La communauté LGBT d’Algérie commémore tous les 10 octobre une journée internationale pour les droits LGBT en Algérie. Les Algériens et Algériennes du Maghreb, les beurs de France et de Belgique se retrouvent par la pensée en mettant à brûler une bougie chez eux, à la maison, dans leurs chambre, discrètement pour ne pas se faire pincer par les parents, voisins ou autres anti LGBT ou homophobes. Les plus hardis d’entre eux en mettent une à brûler sur le balcon, ou au salon.

Un site à découvrir : G.L.A ( Gays et Lesbiennes d’Algérie ) est un forum fondé par un groupe d’amis, dont l’objectif est de rassembler la communauté, promouvoir les activités des associations à orientation LGBT, échanger sur les sujets qui les intéressent, quel que soit le sexe, la race, la religion, et surtout, l’orientation sexuelle des membres.

Gays et Lesbiennes d’Algérie, Le forum des LGBT algériens : http://gay-lesbienne-dz.positifforum.com/

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