En Afrique, l’homosexualité est traditionnelle, mais… (interview, avril 2012)

1368780564744En Afrique, l’homosexualité est traditionnelle, mais elle prend maintenant des formes inspirées par l’Occident. Interview de Patrick Awondo, anthropologue, réalisée en avril 2012 par Eric O. Lembembe, journaliste camerounais assassiné en juillet 2013.

L’homosexualité a une longue histoire en Afrique, dit l’anthropologue Patrick Awondo, contrairement aux affirmations de politiciens qui la considèrent comme une importation occidentale récente.

Mais Awondo admet dans une interview le mois dernier que deux éléments clés dans le débat sur l’homosexualité en Afrique est venu de l’Ouest – en premier lieu, les lois de l’époque coloniale contre les activités homosexuelles et, plus récemment, l’émergence des mobilisations homosexuelles qui demandent des droits basés sur ses pratiques sexuelles.

Patrick Awondo (Photo par Eric O. Lembembe)

« L’homosexualité a toujours existée, mais certaines des formes actuelles de son identification ou des mobilisations qui accompagnent cette identification sont nées à un endroit précis avant d’inspirer d’autres contrées du monde dont l’Afrique », at-il dit.

Awondo était au Cameroun le mois dernier pour coordonné sessions de formation sur le VIH / SIDA.

Citant des documents historiques au sujet des pratiques homosexuelles en Afrique, Awondo mentionné des mœurs homosexuelles au Cameroun, Zimbabwe, Burkina Faso et Bénin.

Il est utile pour les Africains de connaître les pratiques anciennes telles que les rois Mossi qui avaient des relations sexuelles avec leurs pages et les mariages entre des femmes au Dahomey, il a dit.

Savoir les vérités historiques nous permet d’éviter les contre-vérités, a-t-il dit.

Awondo est docteur en sociologie politique et anthropologie de la santé de l’ École des hautes études en sciences sociales (EHESS-Paris).

Propos recueillis par Eric O. Lembembe, journaliste Camerounais, le 27 avril 2012 à Yaoundé.

Depuis quand travaillez-vous avec le Réseau Africain des Formations sur le VIH/SIDA ?

Session de formation au Cameroun géré par le Réseau africain de formation sur le VIH / Sida.

(Photo par Eric O. Lembembe)

Je suis associé à ce panel depuis son montage à Ouagadougou (Burkina Faso) en mars 2011 par les Docteurs Jean-Baptiste Guiard-Scmidt et Steave Nemandé, en tant que “expert anthropologue”. J’ai notamment coordonné les deux sessions concernant d’une part le volet socio-anthropologique des questions concernant le groupe dit “MSM” (men who have sex with men), précisément la question de l’identité sexuelle et du comportement sexuel ou encore l’histoire de ce groupe sur le continent et les perceptions que les gens en ont.

Pourquoi au fond c’est si difficile pour les gens sur le continent africain (comme ailleurs aussi) d’accepter l’émergence d’un groupe homosexuel. D’autre part, j’ai aidé à retracer l’implication du mouvement associatif dans la lutte contre le SIDA sur le continent africain.

Comment en fait des personnes se mobilisent autour de ces enjeux pour permettre une plus grande visibilité et ce que cela fait à la question cruciale de la lutte contre le SIDA pour ces populations les plus à risque. Il s’agit en fait de montrer la différence entre l’identité sexuelle et le comportement sexuel qui dans une logique de santé publique est le plus important pour les professionnels de santé que nous formons.

De plus en plus de nos jours, lors des débats sur l’homosexualité en Afrique, il y a une certaine opinion qui laisse croire que la pratique vient d’ailleurs. Que cela n’a jamais existé sous nos cieux, d’où son rejet total. D’entrée de jeu, peut-on dire que l’homosexualité en Afrique est une occidentalisation des mœurs ?

Au regard des travaux d’historiens, d’anthropologues et même dans une certaine mesure d’archéologues, il est difficile de dire que l’homosexualité est une occidentalisation des mœurs, puisqu’il semble de plus en plus clair que des groupes sur toute l’étendue du continent ont connu dans leur histoire des pratiques homosexuelles.

Ces cas sont documentés. Mais, il est clair que comme partout dans le monde, les sociétés humaines ont souvent opposées une très forte résistance à la “normalisation” de l’homosexualité. En réalité soucieuse de se reproduire, toutes les sociétés du monde, ont souvent regardé l’homosexualité ou les pratiques homosexuelles comme un danger pour la survie du groupe ou pour son équilibre. Un argument qui du reste n’a jamais été vérifié.

Ce qui peut être considéré de mon point de vue comme une “occidentalisation” c’est à la fois la pénalisation de l’homosexualité par les Etats postcoloniaux, puisque comme nous le savons , la plupart des lois introduites contre l’homosexualité le sont sur le modèle des anciennes tutelles coloniales; mais aussi l’émergence d’un groupe social et politique qui revendique l’identité homosexuelle comme une identité politique, c’est-à-dire qui demande des droits basés sur ses pratiques sexuelles, et en fait une question citoyenne.

On peut en effet considérer que l’émergence des mobilisations homosexuelles, de l’identité homosexuelle en tant marqueur social d’un style de vie, des lieux particuliers, bref une certaine identification à l’homosexualité, ce qu’on nomme la “culture gay” et qui est née aux Etats-Unis à la fin des années 60 avant de “gaer” l’Europe de l’Ouest. Oui, cette forme d’identification à ce groupe particulier aux revendications et styles de vie bien spécifiques, cela peut constituer dans une certaine mesure une ” occidentalisation “.

Mais comprenons-nous bien, cela est une “occidentalisation” comme on pourrait dire de la démocratie qu’elle est occidentale, puisque sa forme actuelle a émergé à partir d’un lieu précis qui est l’Occident, ou du moins une partie de ce que l’on nomme l’Occident; mais le principe de la recherche de la liberté est historiquement universelle. Pour faire simple, l’homosexualité a toujours existée, mais certaines des formes actuelles de son identification ou des mobilisations qui accompagnent cette identification sont nées à un endroit précis avant d’inspirer d’autres contrées du monde dont l’Afrique.

Y a-t- il donc des traces dans l’histoire des mœurs africaines de la pratique de l’homosexualité ? Si possible, quelques exemples.

En tant que spécialiste de sciences sociales, je ne peux que vous renvoyer à des travaux venant de ces disciplines là. Je citerai pour faire court un très bel ouvrage de Murray et Roscoe publié en 1998 qui a pour titre – Boy wives and female husband. Studies of African homosexualities – qui est en fait un recueil de récits des premiers travaux d’ethnologues et même parfois d’explorateurs lors des premiers contacts avec les Africains.

Ces récits rapportent des discours sur l’homosexualité, chez ce que l’on appelait alors les “indigènes”. Cet ouvrage rapporte des histoires concernant l’ensemble du continent. Je citerai également le travail d’un historien comme Marc Epprecht, notamment son très bel ouvrage – Hungoschani. A story of a dissident sexuality in southern Africa – qui retrace la trajectoire historique des pratiques homosexuelles dans la zone de l’actuelle Zimbabwé.

J’ai moi-même repris certains de ces travaux dans ma thèse et j’y ai consacré un chapitre à retrouver les discours anciens sur la perception de l’homosexualité chez les Béti du Cameroun à partir des rituels précoloniaux comme le “Mevungu”, qui était un rituel ayant court dans une société secrète féminine.

L’analyse des discours “indigènes” recueillis par les premiers ethnologues permet d’avoir une idée de ce que représentait l’homosexualité, mais surtout et c’est le plus intéressant, l’existence d’un discours sur la question qui montre tout cela a existé. Maintenant, on est dans l’époque contemporaine dans un contexte de resignification considérable d’un certain nombre de faits, mais cela évidemment est un autre débat.

Comment les homosexuels africains vivaient-ils avant l’ère de mondialisation ( ou de la colonisation) ?

C’est difficile de répondre à une telle question, dans la mesure où comme je l’ai dit, il n’y avait pas vraiment la catégorie reconnue aujourd’hui comme “homosexuel”. Pour autant, ce que montre les travaux que j’ai cité plus haut c’est que les situations étaient très variées selon que l’on se situait dans une région ou dans une autre et au-delà des régions, selon les classes d’âges et aussi les caractéristiques sociologiques.

Concrètement, les pratiques homosexuelles n’avaient pas le même sens selon qu’on était par exemple Roi, comme chez les Mossi de l’actuel Burkina Faso, ou selon qu’on était un Page, au service du Roi dans la même région et dans le même groupe. Les Pages par exemple de jeunes hommes parfois travestis en femme et au service du Roi pouvaient jouer le rôle dévolu aux femmes dans certaines circonstances où il lui était interdit de toucher aux femmes. Ce dernier avait alors des pratiques homosexuelles avec ses Pages et cela était plus ou moins reconnu et “institutionnalisé”.

Melville Herkovits a aussi décrit des “mariages” entre femmes dans l’ancien royaume Dahomey, soit l’actuel Bénin. Dans ce cas les femmes nantis et souvent plus âgées prenaient pour épouse des femmes parfois en l’absence d’hommes, ces épouses pouvaient avoir des amants et les enfants étaient reconnus comme ceux de la “femme-époux”. Il y a toutes sortes de configurations sur le continent et le travail d’historicisation doit continuer, non pas par simple propagande, mais parce qu’il est bon que notre histoire soit faite, toute l’histoire même celle dont certains ne veulent pas. Ça permet d’éviter les contre-vérités.

 

Pourquoi les relations sexuelles en personnes de même sexe sont- elles très mal perçues en Afrique ? De quoi ont peur les personnes non homosexuelles ?

J’ai évoqué certains éléments plus, entre autres l’histoire récente du continent Africain, la question de la colonisation, mais aussi des faits universels comme la dimension hétéronormée des sociétés humaines, ou encore la resignification d’un certain nombre de choses à l’époque contemporaine. Le fait par exemple que les pratiques rituelles de l’époque ancienne soient considérées comme constituantes de l’identité homosexuelle actuelle. Bref, il y a beaucoup de causes, pas une seule. Cet ensemble de causes peut aussi se résumer par ce que j’appelle “les tensions postcoloniales”.

Ces tensions surviennent entre les anciennes puissances coloniales comme la France et les pays Africains comme le Cameroun. Le fait est que certaines de ces anciennes puissances coloniales sont considérées et se posent comme des “leaders moraux” pour ce qui est de la défense des minorités sexuelles, même si cela peut parfois se discuter. Les injonctions constantes de ces “leaders moraux” qui essayent notamment d’influencer la dépénalisation universelle de l’homosexualité, provoquent des réactions conservatrices dans de nombreux pays.

Un cas concret ?

A titre d’exemple, le financement de l’Union Européenne à des associations Camerounaises s’occupant des personnes aux pratiques homosexuelles en vue de renforcer leurs capacités en 2011 a provoqué de très vives réactions d’indignation d’une partie de l’opinion médiatique et de la classe politique, qui s’alignait ainsi de façon presque populiste à ces opinions. Ce type de situations ravive le souvenir de la colonisation et l’homosexualité se retrouve au cœur d’un procès postcolonial.

Les gens sur le continent fortement incité dans ce sens par un contexte généralisé de “moralisation” des mœurs publiques, sont amenés à considérer l’homosexualité comme une expression de la décadence de l’occident. L’autre enjeu actuel sur le continent africain, c’est celui des stratégies morales des leaders politiques qui s’appuie sur une critique morale de la société pour se légitimer dans l’espace public. C’est que l’anthropologue Saskia Weiringa appelait les “stratégies morales sexuelles”.

Nous observons toutes sortes d’acteurs politiques qui usent de ces “stratégies morales” pour se faire connaitre. C’est le cas de tous ces groupes de jeunes sur le continent qui publient des textes “contre l’homosexualité” mais où en réalité ils tentent de faire entendre leur voix sur d’autres questions, comme la corruption, le népotisme, la prévarication des dirigeants etc.

A côté de tout ceci, il y a évidemment l’hétérosexisme qui là aussi est un fait universel, même si dans les analyses de l”homophobie africaine”, on tente de montrer que c’est un cas particulier. La résistance de la “norme d’hétérosexualité” et de son double la phallocratie, c’est-à-dire le pouvoir des hommes sont à considérer sérieusement. Tout ces faits et d’autres peuvent expliquer la perception négative de l’homosexualité sur le continent.

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A lire : L’homosexualité dans les représentations sociales camerounaises : esquisse d’une anthropologie à partir des Beti, par Simon Patrick Awondo, 2006.

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