« Ils se sont rangés du côté d’une imitation des relations normales. », René Schérer, 2010

photo_mariage_homo1Pour toi, le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels représentent des avancées ou une conformation à la norme hétérosexuelle ?

 

René Schérer : J’ai signé, sur la demande de Didier Eribon, en faveur du mariage homosexuel parce que si je n’avais pas signé je me rangeais du côté de ceux qui criaient au scandale. Mais, en moi-même, relativement à mes propres pensées, je garde sur le mariage des idées qui sont un peu archaïques, celles héritées du XIX° siècle, de la critique fondamentale du mariage chez Fourier, chez les anarchistes, chez Marx jusqu’à Sartre. Cette critique a disparu. Le mariage ne marquerait pas une récession dans le mouvement homosexuel mais une normalisation. Les homosexuels se sont rangés, ils ont abandonnés un certain nombre d’idées jugées comme exagérées ou inopportunes comme les idées révolutionnaires, comme l’idée de changer fondamentalement les liens sociaux. Ils se sont rangés du côté d’une imitation des relations normales. Il y a une tendance vers la normalisation, étrange normalisation d’ailleurs parce que lorsque ça va du côté des revendications d’adoption ou de parenté, ça devient un peu étrange mais peut-être légitime. Si l’on se range du côté de Fourier, il y a le familialisme, ou le parentisme, ou le paternisme qui se trouve être une passion à part entière à côté des autres passions comme l’amour qui est représenté matériellement par l’affection sexuelle. L’homosexualité peut donc cohabiter avec ce qu’on peut appeler le parentisme ou une passion parentale. En tant que fouriériste, ça ne me choque pas bien que le mariage ne soit pas une chose qui soit présent dans les conceptions fouriéristes. Il est critiqué sous la forme qu’il appelle civilisée comme étant une manière non pas comme le disait Marx et Engels de « prostitution légale », mais parce qu’il limite les liens sociaux, il se limite au couple, à une forme mesquine de la relation sociale. Pour Fourier, la multiplicité des liens, une sorte de polygamie généralisée sont représentées comme la forme maximum de l’éventail des passions. À l’intérieur de cela, on peut bien y insérer également le parentisme, si ce n’est d’ailleurs que ce parentisme ne signifie plus rien dans une société telle que l’envisage Fourier où l’éducation des enfants, la vie des enfants se fait en dehors d’une famille fermée et où ces sentiments sont purement bénévoles ou gratuits, sans être du tout accompagné d’une autorité quelconque ni de l’enfermement des enfants à l’intérieur de maisons particulières. Il faudrait faire des nuances qui pourraient apparaître comme un peu byzantines mais qui sont intéressantes malgré tout : distinguer le sentiment de parentalité et d’autre part le fait qu’il a peut-être dans cette idée des homosexuels une idée beaucoup moins admissible et louable qui est la possession des enfants, c’est-à-dire pourquoi les homosexuels ne pourraient pas se permettre ce que les hétérosexuels se permettent, c’est-à-dire des enfants qui soient aussi leur propriété, leur reproduction, ce sur quoi ils peuvent avoir une certaine forme de contrôle. La relation parentale à un enfant est toujours extrêmement louche donc on ne peut pas en traiter d’une façon simple. Sauf dans le cas où un homosexuel est en relation avec un autre homosexuel qui a un enfant, que l’on permette à cet enfant de vivre avec ces deux homosexuels est tout à fait admissible. Maintenant le fait que des homosexuels qui n’auraient pas d’enfant aient l’intention d’adopter, c’est peut-être aussi légitime mais à condition que ça ne soit pas pour constituer autour de cet enfant quelque chose qui ressemblerait à une autorité parentale. Ça me parait intéressant comme ce qu’on pourrait appeler figure de combinaisons passionnelles qui montrent qu’il y a beaucoup plus de complexité dans les relations humaines et dans les passions et dans les affections que l’on pourrait en mettre. La logique binaire ne fonctionne pas plus dans ce cas là qu’ailleurs. Tout se trouve d’une façon également ou inégalement distribuée chez chaque individu. C’est tout ce que je peux dire sur ce sujet. Je ne peux pas formuler de pensée très précise sauf le fait que dans l’ordre actuel qui maintient, sinon un ostracisme, du moins un préjugé très grand contre l’homosexualité, relativement également à des pays où l’homosexualité est bannie, punie de mort, toujours je serai du côté de ces formes de revendications que je les approuve ou non, que je les partage ou non.

in Les Lettres françaises, N°76, 6 novembre 2010.

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