Au placard dans le placard. (Extrait de La Guillotine du sexe, 1978)

« Le sexe est tabou. Le fait d’en parler, dans certains milieux, avec l’apparence de la liberté, ne change rien au problème. Le sexe n’existe pas en prison. Il ne doit surtout pas exister, sinon il se surajouterait aux autres problèmes et compliquerait encore la situation, qui est déjà assez inextricable comme cela. Et pourtant, il suffirait de regarder la réalité en face pour prendre conscience de la gravité du problème posé : avons-nous le droit de priver un être humain de toute vie sexuelle ? Se taire suffit-il à masquer la vérité ? (…)

Même si, à l’extérieur, des questions se posent et si le dialogue s’ouvre, l’homosexualité reste un ghetto pour beaucoup. En prison, c’est le ghetto dans le ghetto.

Elle reste assez mal portée. C’est le reflet de ce qui se passe ailleurs. Mais cela se manifeste plus brutalement. En taule, un pédé, c’est quelqu’un de faible. Donc on le méprise. Ce n’est pas un homme. Tout devient permis. On peut le racketter, le mettre en quarantaine, ne pas lui parler et lui tourner le dos. (…)

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Dan surprend par son apparence très dure. Il a la trentaine bien tassée, le visage sculpté dans le granit, tel un dieu grec.

    • J’en ai marre, annonce-t-il.

    • Qu’est-ce qui t’arrive ?

    • Je suis au bout du rouleau !

    • Pourtant, tu plaisantes tout le temps. Tu as l’air en pleine forme. Tu remontes le moral aux autres.

Il soupire :

    • Penses-tu ! C’est le masque.

    • Et qu’est-ce qu’il y a derrière ce masque ?

    • Si je te le disais, tu serais sur le cul.

    • Et après ?

    • Mais peut-être aussi ne voudrais-tu plus être mon ami.

    • Ça ne va pas !

    • Si, je sais de quoi je parle. J’ai l’habitude. Mais, après tout, Jacques, tu es mon ami. Je te dois la vérité. Tant pis pour les conséquences. Je suis homosexuel.

    • Ce n’est pas un drame.

    • Si tu le prends comme ça, je sens que je vais déjà aller un peu mieux.

    • Tu croyais vraiment que j’allais te tourner le dos.

    • Oh ! Je n’en sais plus rien. J’en ai tellement vu. J’ai eu tellement de déceptions…

    • Tu déconnes complètement. Après ce que tu as fait pour moi, tu voudrais que j’annule tout pour si peu ?

    • Pour si peu, tu en as de bonnes ! D’abord, c’est vachement important…

    • Oui, mais, enfin, tu me comprends…

    • D’accord. N’oublie pas, quand même, qu’un pédé est mal vu en prison.

    • Et après ?

    • Eh bien ! Il vaut mieux ne pas être ami avec lui.

    • Ah ! Ça, je m’en fous pas mal.

    • Je suis soulagé de t’endre parler comme ça. De toute façon, je ne suis pas repéré en tant qu’homosexuel. Alors, tu ne risques rien à me fréquenter.

    • Même si tu étais connu comme pédé, je resterais ton ami.

    • Mais cela te ferai du tort !

    • Et je continuerai à te parler au vu et au su de tout le monde !

    • Tu es jeune. Tu ne te rends pas compte. En taule, un homo, c’est assimilé à une balance. C’est un enculé. Bien sûr, il y en a qui sont respectés, parce qu’ils se conduisent comme des hommes. Ils n’ont pas donné leurs associés dans leur affaire. Et, quand il faut se bastonner, ils ne se dégonflent pas.

    • Justement, tu es comme ça. Tu ne mouchardes pas et tu sais te battre.

    • Je suis un solitaire et je prèfère casser tout seul. Si un mec me monte sur les pieds, je lui flanque une correction.

    • Alors ?

    • Oui, mais, quand même, il vaut mieux ne pas en être. Comme ça, il n’y a pas d’histoires. On n’a pas à se battre pour prouver qu’on est un homme.

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(…) En prison, comme ailleurs, les préjugés restent rois. Ce n’est pas parce que l’on est opprimé que l’on comprend d’emblée les autres opprimés. Au contraire, bien conditionné par le système, l’individu brimé rejette son semblable, afin de se ranger dans le camps des oppresseurs. Il en devient le complice, ce qui lui donne l’illusion d’être un chef, alors qu’il n’est rien d’autre qu’un chien au service de ses maîtres et un traître auprès de ses frères.

Le cas de Dan est particulier. Il était déjà attiré par les hommes avant son internement. (…)

    • Mais alors, comment fais-tu ici ?

    • Je crève à petit feu. (…) Je souffre comme un damné. Quand j’étais au Quartier A, il m’est arrivé de me taper la tête contre les murs. (…) Ce que j’ai enduré, ce que j’endure est atroce. J’ai besoin d’un homme. Il me faut le contact d’un amant tendre et vigoureux, souvent, tous les jours même. Si je ne l’ai pas, j’ai mal partout, dans tout le corps. Surtout, j’ai besoin de me sentir pénétré par un sexe dur et fort. Il m’est arrivé de passer des nuits blanches. Je me bouffe les poings pour ne pas crier. Je reste des heures le membre en érection. J’ai beau me branler, il reste pareil.

    • Mais le fait d’éjaculer ne te procure pas un soulagement ?

    • Eh non ! Parce que ce n’est pas de ça que j’ai vraiment besoin. Seule, une femme pourrait me comprendre. C’est inhumain de rester enfermer comme cela. J’en pleure de rage et d’impuissance.

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Cette vérité, étalée sur des années, c’est ce qu’il importe d’opposer à tous ceux qui pensent que la prison est un paradis pour les homosexuels.

Le problème est différent pour ceux qui deviennent homosexuels en prison. Tout se passant en vase clos, cela se sait inévitablement. Et c’est la fin, pour celui qui espère garder l’estime des « garçons ». Pour retrouver du prestige, il lui faudra davantage faire ses preuves que n’importe qui.

S’ajoute à cela le jeu avec l’Administration. Les autorités veulent bien fermer les yeux sur certaines pratiques, mais en échange de quelques informations. Et, une fois que le pli est pris, il est difficile d’en sortir. La direction ne comprendrait pas une pareille volte-face et les codétenus ne croieraient pas, eux non plus, une pareille marche arrière. Un donneur est un donneur. On n’imagine pas qu’il devienne un homme. Et, comme pédé s’associe à balance, il est des métamorphoses qui paraissent du domaine de l’impossible.

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Il est rare qu’un détenu, homosexuel avant d’entrer en prison, passe inaperçu parmi ses camarades. Sa personnalité, sa manière d’être, ses tendances profondes apparaissent d’entrée. Au contraire même, il peut, dans certains cas, afficher et revendiquer sa déviance. Beaucoup exhibent leur féminité, en particulier les travestis. (…) Ils viennent troubler les plus purs et les plus durs.

Ils viennent nous rappeller que nous avons tous notre part d’homosexualité. Ils nous disent qu’en passant à l’acte, nous ne faisons que dépasser nos résistances à l’attirance pour notre propre sexe. Ce qui est vrai. Mais il n’est pas acceptable que de telles découvertes soient effectuées à la suite de privations.

De toutes façons, les travestis et les homosexuels trop voyants ne sont pas admis en détention. La Pénitentiaire ne saurait courir le risque de les voir perturber toute une prison. Elle les met à l’isolement. Prison dans la prison. (…) »

Extrait de La Guillotine du sexe, misère sexuelle dans les prisons, Jacques Lesage de La Haye, 1978.

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Commentaire Dépavage :

La Guillotine du sexe dresse un portrait de la prison à travers la misère affective et sexuelle des détenus. Bien que certains passages ne soient pas dénués « d’homo-érotisme », l’auteur, hétérosexuel et imprégné par les pensées de l’époque, la psychologie et la psychanalyse surtout, se permet parfois des analyses moralisatrices voire hétérosexistes. Il assimile parfois l’homosexualité (et le travestissement) au narcissisme voire à un état pathologique.

Un autre passage témoigne du viol d’un détenu, Rocky, qui retourne en prison deux ans après la fin de sa première peine et aurait demandé, lors de son passage devant le Conseil national d’observation de Fresnes, à retourner à Caen pour être avec « son ami ». L’auteur conclue que la prison lui a donné goût à l’homosexualité « et pas n’importe laquelle, celle du giron soumis à son julot » et qualifie la prison de « fabrique de schbems ».

Que des personnes découvrent l’homosexualité en prison est une réalité mais, comme en témoigne tous les détenus et anciens détenus (et ce livre ne fait pas exception), celle-ci reste très mal vue dans l’institution carcérale, à la fois par les détenus, par leurs proches et par la pénitentiaire. Si certains découvrent le plaisir entre hommes en prison, d’autres aussi s’en éloignent, beaucoup trop se tuent ou sont tués à cause de l’enfermemement et de l’homophobie, à cause de la nécessité du silence ou de l’isolement, à cause des agressions et des viols.

Non, la prison n’est pas un « paradis pour les gays » comme le voudrait les clichés alimentés par l’industrie pornographique et les petits bourgeois  qui fantasment sur les « mâles virils » des classes populaires.

Il va s’en dire qu’on ne saurait défendre l’institution carcérale parce qu’elle permettrait de découvrir la sexualité entre hommes, ce qui est une aberration que malheureusement il arrive que l’on entende. On ne saurait non plus la condamner pour la même raison, comme semble le faire Jacques Lesage de La Haye.

Ce n’est pas non plus uniquement parce qu’elle est un enfer pour les pédés qu’il faut en finir avec la taule. Il faut en finir avec tous les enfermements. Une prison qui permettrait aux détenus d’avoir une vie sexuelle, ou même une prison qui serait « gay-friendly », resterait de toutes façons une institution qui prive des individus de leur liberté, une institution au service d’un système politique qui s’en sert comme d’une arme pour inciter les prolétaires à rester dans le rang, enchaînés à l’usine… Si l’institution carcérale est profondément homophobe, hétérosexiste, c’est parce qu’elle est le reflet de cette société. Les différences sociales, liées au genre, à la race ou à la classe, y sont exacerbées.

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