Paragraphe 175 et Triangles roses

heinrich-himmlers-secret-shame-1« L’attrait sexuel de l’homme pour l’homme nuit à la bonne marche des affaires. » (Heinrich Himmler)

Le paragraphe 175 du Code pénal allemand, l’article 334 – alinéa 1 du Code pénal français, les camps. Témoignages de Rudolf Brazda et Pierre Seel.

Paragraph 175

Le paragraphe 175 du Code pénal allemand en 1871 (reprenant une loi prussienne de 1794)

« § 175 Les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux, sont passibles de prison ; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques. »

En octobre 1934, s’installe au sein de la Gestapo d’un bureau spécial chargé de traiter les affaires homosexuelles (Sonderdezernat Homosexualität), qui se consacre notamment au fichage, et d’une nouvelle intensification de la persécution. Les inculpations au titre du paragraphe 175 sont alors multipliées par 5 entre 1934 et 1935.

Le paragraphe 175 amendé le 28 juin 1935 :

« § 175 Un homme qui commet un acte sexuel avec un autre homme ou qui se laisse utiliser par lui dans ce but est puni de prison. Dans le cas d’un participant qui, au moment des faits, n’avait pas encore 21 ans, le tribunal peut renoncer, dans les cas les plus légers, à punir.

§ 175a Est puni d’une peine de travaux forcés pouvant s’élever jusqu’à dix ans, en cas de circonstances atténuantes d’une peine de prison ne pouvant être inférieure à trois mois :

  1. un homme qui oblige un autre homme, par la force ou par une menace mettant présentement en danger son corps ou sa vie, à commettre un acte sexuel avec lui ou à se laisser utiliser par lui dans ce but ;
  2. un homme qui décide un autre homme, en usant d’une dépendance fondée sur une relation d’autorité, de travail ou de subordination, à commettre un acte sexuel avec lui ou à se laisser utiliser par lui dans ce but ;
  3. un homme de plus de 21 ans qui séduit un mineur masculin de moins de 21 ans , afin qu’il commette avec lui un acte sexuel ou qu’il se laisse utiliser par des hommes en vue d’un tel acte ou qui s’offre dans ce but ;

§ 175b Un acte sexuel contre nature qui est commis par un homme avec un animal est puni de prison ; la perte des droits civiques peut être également prononcée1. »

Entre 1933 et 1945, rien qu’en Allemagne, près de 100.000 hommes (dont la moitié a été condamnée) ont été arrêtés en vertu de la loi qui criminalisait l’homosexualité.

On estime qu’entre 5.000 et 15.000 homosexuels ont été détenus dans des camps de concentration sous le régime nazi.

Ces statistiques ne couvrent cependant pas l’ensemble des cas, les « corrupteurs de la jeunesse », les prostitués et les récidivistes pouvant être directement internés en camp de travail sans jugement. L’« émasculation volontaire » est également « proposée » par la police aux homosexuels poursuivis au titre du paragraphe 175. Quant à la castration forcée, elle n’est imposée que dans certains cas, cette fois au titre de la loi de prévention des maladies héréditaires modifiée en juin 1935, ou de celle sur les crimes sexuels de novembre 1934, sans qu’il soit possible de différencier les homosexuels parmi ceux qui en ont été victimes ; le recours à la castration systématique a été proposé à plusieurs reprises par Himmler, notamment en 1939 puis en 1942, mais n’a pas été retenu.

L’historienne Dagmar Herzog affirme quant à elle qu’entre 46 000 et 50 000 homosexuels auraient été indistinctement emprisonnés ou internés, et qu’entre 5 000 et 10 000 y seraient morts.

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La mort de Gad Beck le 24 juin 2012, considéré comme le dernier survivant gay de l’holocauste, a laissé un vide. Il était le dernier témoin vivant et le représentant d’une période de persécution et de souffrance qui a coûté la vie à des milliers d’homosexuels.

Robert Biedron, un activiste polonais, décrit des scènes d’humiliations quotidiennes pour les homosexuels détenus dans des camps :

«Ils étaient forcés de dormir en chemise de nuit et de garder leurs mains en dehors du lit. A Flossebürg, les homosexuels étaient forcés de fréquenter des prostituées. Les Nazis faisaient même des trous dans les murs pour observer le comportement de leurs prisonniers homosexuels.»

Le témoignage de Rudolf Brazda, survivant, en 2010 :

http://youtu.be/9yPLoH3qyvQ

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« Des jours, des semaines, des mois passèrent. De mai à novembre 1941, je vécus six mois de la sorte dans cet espace où l’horreur et la sauvagerie étaient la loi. Mais je tarde à évoquer l’épreuve qui fut la pire pour moi, alors qu’elle se passa dans les premières semaines de mon incarcération dans le camp. Elle contribua plus que tout à faire de moi cette ombre obéissante et silencieuse parmi d’autres.

 

Un jour, les haut-parleurs nous convoquèrent séance tenante sur la place de l’appel. Hurlements et aboiements firent que, sans tarder, nous nous y rendîmes tous. On nous disposa au carré et au garde-à-vous, encadrés par les SS comme à l’appel du matin. Le commandant du camp était présent avec tout son état-major. J’imaginais qu’il allait encore nous assener sa foi aveugle dans le Reich assortie d’une liste de consignes, d’insultes et de menaces à l’instar des vociférations célèbres de son grand maître, Adolf Hitler. Il s’agissait en fait d’une épreuve autrement plus pénible, d’une condamnation à mort.

  Au centre du carré que nous formions, on amena, encadré par deux SS, un jeune homme. Horrifié, je reconnus Jo, mon tendre ami de dix-huit ans. Je ne l’avais pas aperçu auparavant dans le camp. Etait-il arrivé avant ou après moi ? Nous ne nous étions pas vus dans les quelques jours qui avaient précédé ma convocation à la Gestapo. Je me figeai de terreur. J’avais prié pour qu’il ait échappé à leurs rafles, à leurs listes, à leurs humiliations. Et il était là, sous mes yeux impuissants qui s’embuèrent de larmes. Il n’avait pas, comme moi, porté des plis dangereux, arraché des affiches ou signé des procès-verbaux. Et pourtant il avait été pris, et il allait mourir. Ainsi donc les listes étaient bien complètes. Que s’était-il passé ? Que lui reprochaient ces monstres ? Dans ma douleur, j’ai totalement oublié le contenu de l’acte de mise à mort.

Puis les haut-parleurs diffusèrent une bruyante musique classique tandis que les SS le mettaient à nu. Puis ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d’abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d’horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu’il perde très vite connaissance. Depuis, il m’arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de cinquante ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n’oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins. Pourquoi donc se taisent-ils encore aujourd’hui ? Sont-ils donc tous morts ? Il est vrai que nous étions parmi les pus jeunes du camp, et que beaucoup de temps a passé. Mais je pense que certains préfèrent se taire pour toujours, redoutant de réveiller d’atroces souvenirs, comme celui-ci parmi d’autres.

Quant à moi, après des dizaines d’années de silence, j’ai décidé de parler, de témoigner, d’accuser.« 

Extrait de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel

Le témoignage de Pierre Seel, en 1993 dans l’émission Là-bas si j’y suis :

 

Le documentaire Paragraph 175 en streaming en 4 parties : http://www.dailymotion.com/video/x3bsd8_paragraphe-175-1-4_news

 

Code pénal et homosexualité en France

Depuis la Révolution française (par la loi du 25 septembre – 6 octobre 1791, qui adopta le Code pénal, dont un fait remarquable est l’absence de mention de la sodomie, considérée jusque là comme un crime, ou tout autre terme désignant les rapports homosexuels), les rapports homosexuels en privé entre adultes consentants n’étaient plus poursuivis par la loi en France.

Cependant, une police administrative est mise en place dès avant la Révolution et s’intensifie sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire autour des groupes d’homosexuels, notamment parisiens. Elle se caractérise par un recensement écrit, sous forme de fiches, des homosexuels identifiés, des prostitués homosexuels et travestis, le tout compilé dans les « registres des pédérastes ». Le but de ce fichage systématique était essentiellement de prévenir les chantages et les scandales publics tout en contrôlant la prostitution. Le fichage des homosexuels par la police s’est poursuivi (officiellement) jusqu’en 1981.

Le régime de Vichy, par la loi du 6 août 1942 modifiant l’alinéa 1 de l’article 334 du Code pénal, établit une distinction discriminatoire dans l’âge de consentement entre rapports homosexuels et hétérosexuels :

« Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 2 000 francs à 6 000 francs quiconque aura soit pour satisfaire les passions d’autrui, excité, favorisé ou facilité habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de vingt et un ans, soit pour satisfaire ses propres passions, commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans. »

Cette loi crée une distinction explicite entre rapports homosexuels et hétérosexuels s’agissant de l’âge à partir duquel un mineur civil peut entretenir une relation sexuelle avec un adulte, sans que cet adulte commette une infraction pénalement réprimée (il faut attendre 21 ans pour les rapports homosexuels et 13 ans pour les rapports hétérosexuels puis 15 ans à partir de 1945). À la Libération, cet alinéa n’est pas abrogé. À peine modifié, ce paragraphe est seulement déplacé à l’alinéa 3 de l’article 331 du Code pénal. Cette nouvelle loi punit

« …d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 francs à 15 000 francs quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans. »

En 1974, l’âge de majorité sexuelle pour les rapports homosexuels est abaissé à 18 ans (la loi change l’âge de majorité de 21 ans à 18 ans dans tous les articles du Code civil et du Code pénal).

En plus de l’article 331 du Code pénal, une seconde loi faisait mention explicitement de l’homosexualité : l’ordonnance du 25 novembre 1960 (créant l’alinéa 2 de l’article 330 du Code pénal), qui doublait la peine minimum pour outrage public à la pudeur quand il s’agissait de rapports homosexuels.

Il faudra des années de luttes pour qu’en 1982 le Code pénal ne rende plus répréhensible l’homosexualité en France.

 

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Une pensée pour toutes les autres victimes du nazisme et du régime de Vichy oubliées de la mémoire collective, et pour leurs « descendants » : Tziganes, Noirs, handicapés, asociaux, communistes, slaves, anarchistes, prostituées, Témoins de Jéhovah…

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