Je ne suis évidemment pas Charlie, Cécile Lhuillier

9aff87a28e4f5607c69fd01965c9dc06« Charlie [Hebdo] était devenu une caution anticléricale de « gôche » en partie au service d’une islamophobie généralisée. »

Par Cécile Lhuillier,
Ancienne présidente d’Act Up-Paris, militante au Collectif 8 mars pour toutes.

(déjà 117 procédures pour apologies du terrorisme)

 « Je ne suis évidemment pas Charlie »

Publié par la presse gay mainstream Tétu le 28 janvier 2015.

Le choc émotionnel lié à la brutalité de l’attentat contre Charlie Hebdo a donné lieu à des rassemblements spontanés et massifs, et tout aussi immédiatement à une scission sociale et militante. Fidèles à leur rôle de miroir, les réseaux sociaux ont fait montre de nouvelles querelles. Les « je suis » VS les « je ne suis pas », catégories opposées, avec leurs sous-ensembles, leurs nuances, leurs radicaux et leurs modéréEs.
Dans la vraie vie, les représailles ne se sont pas faites attendre, quelques horreurs supplémentaires ont attisé les haines, donnant du même coup un blanc-seing à l’État pour renforcer encore un peu plus ses politiques sécuritaires et accroître la répression.

Et maintenant ? Comment répondre à cette question sans s’en poser une autre : « Comment en est-on arrivé là ? ».

Je ne suis bien évidemment pas Charlie. Sur la forme, nul besoin à mon sens d’user de dépersonnalisation pour se montrer solidaire ou compatissantE, et sur le fond, Charlie Hebdo était devenu un journal raciste, homophobe, transphobe, sexiste, et tout particulièrement islamophobe.
La satire, le second degré, plus généralement la liberté d’expression sont trop précieux pour être dévoyés à des fins oppressives, or c’est ce que Charlie faisait de ces notions dont il avait le privilège de bénéficier.
De publication subversive active dans la contestation des pouvoirs en place, Charlie était devenu une caution anticléricale « de gôche » en partie au service d’une islamophobie généralisée, à l’encontre en premier lieu non pas des autorités religieuses, mais de la communauté musulmane.

Le simple fait de ne pas changer d’identité pour devenir unE Charlie a été assimilé à une approbation des multiples meurtres de ce triste début d’année. De l’art de ne surtout pas nuancer, de refaire l’histoire, et d’insulter qui pense différemment. Drôle d’exercice pour les tenantEs d’une indignation massive en faveur de la liberté d’expression.

Quid dans ces circonstances de la « communauté » LGBT ? D’ailleurs, de laquelle parlons nous ? La cohésion affichée lors des débats sur le mariage n’a été qu’un feu de paille, une fois la loi votée, des pans entiers de la communauté, des revendications et donc des personnes ont été abandonnées.
Au sein même de cette minorité, les plus privilégiéEs se sont accomodéEs d’une loi incomplète, empreinte notamment, par ses oublis, de transphobie et de lesbophobie.

En terme de « droits pour touTEs », le compte n’y est pas, il n’y a jamais été.

Revenons sur la période marquée par l’ouverture du mariage aux couples de même sexe : combien de reculades gouvernementales, de tribunes offertes aux homophobes au nom d’un débat qui n’avait pas lieu d’être ? Autant d’opportunités pour les franges homophobes, mais aussi racistes et fascistes de revenir sur le devant d’une scène politique déchiquetée, de se réorganiser dans les structures militantes, de reprendre les médias, et la rue.

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Que d’arguments alors pour ne surtout pas élargir cet élan politique et social estampillé « mêmes droits pour touTEs » à l’ensemble des minorités elles aussi cantonnées à un statut de seconde zone.

Si le PS, sous la pression des militantEs, a fini par honorer par forceps une de ses promesses électorales, d’autres mesures ont été prises dans le même temps à l’encontre des travailleuRSes du sexe, les expulsions des sans-papiers se poursuivent, les actes islamophobes foisonnent, et les ressortissantEs LGBT de 11 pays restent par ailleurs toujours privéEs de l’accès au mariage. Il fallait alors « se montrer raisonnable », « ne pas confondre les luttes », « être patientE ».

QuelLE « Charlie » d’aujourd’hui s’est à l’époque levéE pour « être » une pute, unE trans* ou unE sans-papier ?

Quand des franges entières de la population restent lésées, le « vivre ensemble » doit passer par le « revendiquer ensemble ». Dans un contexte inégalitaire, la cohabitation est rendue d’autant plus difficile, et il est aisé de diviser encore davantage.
Les tentations réactionnaires existent, et il est désolant de constater que certainEs y cèdent, ou en tous cas ne s’en indignent plus.

En 2010, déjà, le Front national draguait la sphère LGBT, souvenons-nous de ses appels du pied : « Dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même Français ou blanc ».
Nos revendications, nos luttes et nos besoins devenaient des outils de propagande pour des formations politiques racistes.

Au-delà des divisions, la solution n’est pas non plus un gommage des spécificités au nom d’une intégration dans une communauté nationale lisse et respectable, qui désagrégerait nos identités propres. Il s’agit pourtant d’une autre tentation, renforcée ces dernières semaines par la création d’une « union nationale » au sein de laquelle nous devrions marcher derrière nos oppresseurs ?

La communauté LGBT, ceux/celles qui la représentent, et surtout ceux/celles qui la font n’ont que trop tardé à afficher clairement des positions anti-racistes, anti-islamophobie, anti-sexistes, et à prendre des positions claires sur des sujets de société qui pourtant nous concernent aussi. Comment, cela dit, attendre d’une communauté déjà déchirée en interne qu’elle fasse preuve de cohésion et forme un bloc politiquement solidaire d’autres minorités toujours désavantagées ?

Je veux croire qu’il n’est pas trop tard…

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117 porcédures pour apologie du terrorisme, (plus de) 130 actes islamophobes…

Publié sur le site Secours Rouge.

Deux semaines après les attentats contre Charlie Hebdo et Hyper Cacher, 117 (cent dix-sept) procédures ont été ouvertes devant les tribunaux français pour « apologie du terrorisme » et « provocation à la haine raciale », en application de l’article 12 de la loi du 13 novembre 2014, qui fait passer ce délit du droit de la presse au droit commun des infractions pénales. Une vingtaine de ces affaires ont d’ores et déjà abouti à des peines de prison ferme, suite à une comparution immédiate (au nom de quelle urgence ?), qui empêche la préparation d’une défense correcte. La France compte 400 (quatre cents !) lois limitant le principe de liberté d’expression…

On opposera à cette vingtaine d’emprisonnements sommaires le fait qu’aucune personne mise en cause dans les 130 actes islamophobes survenus durant la même période n’a fait un jour de prison. Le 14 janvier, un homme originaire de Belfort a été mis en examen pour « menace de crime contre des personnes en raison de leur religion » et « détention de substances pouvant entrer dans la fabrication de produit explosif », mais a été remis en liberté alors même que des substances explosives ont été retrouvés chez lui et avait menacé de faire exploser la mosquée de Delle. A Toulouse, l’homme qui a été interpellé près de la mosquée d’Empalot en possession d’une arme blanche pour « tuer du musulman » afin de « venger Charlie Hebdo » a été relaxé le 19 janvier pour les menaces de mort, « faute de réitération ». Il a écopé de 8 mois de prison avec sursis mise à l’épreuve pour port d’arme et usage et détention de cocaïne. Il est donc libre. Des fascistes ayant tagué « morts aux arabes » ou saccagé des tombes musulmanes ont bénéficié de circonstances atténuantes (ivresse, « emprise de l’émotion », problèmes psy) systématiquement refusées aux coupables de lèse-Charlie.

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A lire aussi, sur ce site, d’autres réactions (collectif Quartiers libres, Claude Guillon et des anarchistes), et aussi l’édito de L’Envolée.

…et sur le site de Têtu, la tribune de Ludovic-Mohamed Zahed, imam, membre de Calem (confédération des associations LGBTQI euro-africaines ou musulmanes) et HM2F (Homosexuels et Musulmans de France).

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