[actu] Tunisie « Mawjoudin »

Manifestation-homosexuels-au-BardoQuelques articles de  la presse mainstream et témoignages sur la lutte des LGBTQI contre l’homophobie la répression de l’homosexualité en Tunisie.

Des homosexuels manifestent à Tunis contre la discrimination

Un petit groupe de militants LGBT du groupe Mawjoudin («Nous existons») a manifesté à l’occasion du défilé qui marquait le Forum social mondial, qui se tient dans la capitale tunisienne.

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«Il est possible de changer les choses, de faire évoluer les mentalités et de casser les préjugés, mais pour réussir, nous devons bouger et être unis. En Tunisie, nous sommes traités comme des pestiférés et beaucoup d’entre nous ont été victimes d’agressions gratuites», a expliqué un jeune gay tunisien au site Kapitalis.net.

Vives réactions
L’événement symbolique a suscité des réactions contrastées sur le web: si beaucoup ont applaudi le courage des militants qui défilaient pour la première fois au grand jour, d’autres se sont montrés indignés ou inquiets devant une «provocation», une semaine après l’attentat du Musée du Bardo, revendiqué par Etat islamique (Daech). «Est-ce le moment? Cela va exciter encore plus les da[e]chiens. La Tunisie n’a pas besoin de cela par les temps qui courent», estime une internaute.

publié le 28 ars 2015 sur le mass média gay suisse 360ch.

TUNIS

Deux militantes pour les droits LGBT attaquées en une semaine

La survenue de deux actes de violences à l’encontre de femmes militantes pour les droits des LGBT en moins d’une semaine a poussé l’association tunisienne Chouf minorities à alerter la communauté internationale. Dans un communiqué, elle révèle qu’une membre du bureau de l’association a été violée. Une autre femme a quant à elle subi des coups en raison de son orientation sexuelle supposée.

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HOMOSEXUALITÉ PÉNALISÉE
Toutes deux ont porté plainte, mais impossible pour elles de mentionner auprès des autorités le fait qu’elles sont proches de la communauté LGBT. En vertu de l’article 230 du Code pénal, l’homosexualité est passible de trois ans d’emprisonnement en Tunisie, et elles auraient perdu le statut de victimes pour endosser celui de coupables.

La première a évoqué son viol sur le Huffington Post Maghreb. Armé d’un couteau, un homme l’a forcée à avoir une relation sexuelle avec lui. Lorsqu’elle est revenue sur les lieux avec la police, elle constate qu’il n’y a «pas de délimitation de la scène de crime et pas de police scientifique présente, on ne cherche pas de preuves sur le site». À l’hôpital, elle a été renvoyée pendant de nombreuses heures de service en service sans être prise en charge tandis que le personnel soignant abordait son cas sans la moindre empathie. La deuxième femme agressée a publié son récit sur le site de Chouf minorities: «Ce n’est pas la première fois que je me fais agresser ni insulter pour être simplement différente, pour ne pas ressembler à ce que je devrais, pour ne pas être cette “fille” qu’ils voient ou plutôt qu’ils aimeraient voir dans les rues», confie-t-elle.

(…) tant que l’homosexualité sera pénalisée, il sera impossible de cibler de façon directe les crimes LGBT-phobes. En attendant, Chouf minorities a adopté une stratégie féministe et veut apprendre aux femmes des techniques pour se protéger. L’association veut également élaborer des plaidoyers qui pourraient permettre, à terme, un plus grand respect des libertés individuelles et, pourquoi pas dans quelques années, l’abrogation de l’article 230.

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Ici, on vous bat, on vous tabasse pour être homosexuel.

Homosexuel ? Ici, on vous bat, on vous tabasse pour être homosexuel. Mère ! Pourquoi m’as-tu mise au monde ? C’est parce que je n’ai pas confirmé avoir été battue la première fois , je ressemble a un garçon ont ils dit ; en le déclarant à la police, « Rentre chez toi », m’ont-ils dit, « pourquoi sors-tu de chez toi en ressemblant à « ça » ? ». Ca a été leur seule et unique réponse.

Ce n’est pas la première fois que je me fais agresser ni insulter pour être simplement différente, pour ne pas ressembler à ce que je devrais, pour ne pas être cette « fille » qu’ils voient ou plutôt qu’ils aimeraient voir dans les rues – je n’appartiens pas à ces rues. Je ne mérite pas ces rues – je suis douloureusement consciente que personne ne pourra rien y faire, personne ne pourra arranger cela, personne ne me rendra mes droits, ni pour cette fois, ni pour toutes celles d’avant. Cette injustice est sans fin, tout comme ma peur. Je suis vidée, épuisée. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je n’ai jamais été aussi bouleversée. Ces personnes me connaissent très bien, ils me l’ont bien fait savoir. Mon nom complet, où je vis, où je travaille, où je passe mon temps libre, ils savent tout de moi. J’ai été tellement frappée que j’ai senti mon visage se mouvoir, mais ils ont continué à m’écraser la tête, à me marcher sur la tête, et m’ont presque cassé le dos. Ils ont finalement conclu par une affirmation qui rôde dans mon esprit depuis :  « Nous n’allons pas t’épargner, nous reviendrons. » Où est ma place dans tout ça ? Où en suis-je ? Qu’est-ce que je dois faire maintenant dans cette jungle qu’on appelle Tunisie ? Cette Tunisie est censée être ma maison?

Une fois de plus, je me retrouve traînant mon âme et mon corps blessés jusqu’à la police pour entendre ces paroles inutiles et insignifiantes :       « Ils ont fait cela uniquement pour te faire peur. Ils ne s’en prendront pas à toi. Ce n’est rien. Rentre chez toi. Nous t’appellerons quand nous aurons du nouveau. » Cela fait sept jours, uniquement sept jours, mais j’ai l’impression que cela fait sept années. Je me sens suivie constamment, de façon permanente. Chaque ombre, chaque personne que je rencontre dans la rue me fait sursauter de peur. Je me dis au fond de moi que ce doit être l’un d’eux qui est venu pour me tuer, pour me poignarder, pour me faire souffrir. Je sens une menace constante, incessante, partout et de la part de tout le monde. Je ne suis en sécurité nulle part, pas même dans mon lit. Mon cerveau a cessé de fonctionner, pas une idée le traverse, rien, le NÉANT ! Je n’ai pas vraiment vu le visage de mes agresseurs, mais chaque mot résonne encore et encore dans ma tête. Je me rappelle de chaque phrase, de chaque insulte, et je m’en rappellerai jusqu’à mon dernier souffle. Mais je ne laisserai pas cela me changer, me transformer en quelqu’un que je ne suis pas. Cela ne changera pas la personne que je suis et la personne que je VEUX être. Ni maintenant, ni jamais. Peu importe la raison. Je suis là, j’existe ! Quiconque s’oppose à ce que je suis peut venir m’agresser, me battre à nouveau!

Après tout, cette jungle dans laquelle nous vivons le permet. « Il » a été plus fort cette fois-ci. Il m’a battu. Il aurait facilement pu me tuer et personne n’aurait bougé le petit doigt, parce qu’après tout, dans cette jungle, je ne suis qu’une vie insignifiante, qu’une vie en trop.

publié sur Chouf minorities le 22 mars 2015

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Les LGBTQI en Tunisie : entre la politisation de l’intime et la répression sociale

Un an après une nouvelle constitution qualifiée de progressiste, des voix s’élèvent pour réformer certaines lois jugées anticonstitutionnelles ou encore liberticides, à l’exemple de la loi 230 du code pénal qui condamne « la sodomie consentante entre adultes ». Si la relation amoureuse entre deux personnes du même sexe n’est pas condamnée explicitement par la loi, la Tunisie reste un pays homophobe où les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) sont forcées à cacher leurs tendances sexuelles, à quitter le pays, ou à encaisser les conséquences judiciaires et les agressions physiques et morales impunies.

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Dans un café culturel au centre-ville de Tunis, il s’arrange bien pour choisir une table isolée où personne ne peut deviner ce qu’il fait derrière son écran. Autour, des jeunes en groupe, remplissent le café de papotages et de fumée. Sensible à l’odeur du tabac, «Aziz» reste quand même fidèle à ce coin, connu pour sa tolérance envers ses semblables. Ses cheveux noirs tombent avec fluidité sur son front pour cacher ses sourcils danses et foncés. Ses grands yeux noirs, son nez ajusté et ses joues mates et lisses, ne laissent aucun doute sur son jeune âge. «Aziz» vient de fêter ses 21 ans avec son nouvel amant au Sud.

Il relâche sa silhouette fine sur la chaise et dévie avec élégance les coins de la table par ses jambes longues. Il commence à parler de ses dernières vacances avec beaucoup d’humour. Puis, il vire au sérieux :

Nous sommes tout le temps obligés de nous cacher ou de faire semblant. Au fil du temps, la prudence finit par devenir de la paranoïa. Nous avons peur de l’espionnage sur Internet et de l’écoute téléphonique. La loi 230 du code pénal nous pèse de plus en plus. Quelques-uns prétendent avoir une copine, d’autres se marient carrément pour faire taire les rumeurs et se faire accepter par la société. Mais la majorité garde ce meilleur ami-amant que tout le monde matte avec méfiance. Personnellement, je refuse de jouer cette comédie. Avec le temps, j’ai appris à voler quelques moments de bonheur et d’intimité en sécurité et sans faire du bruit. Ma famille et mes amis proches sont au courant et ça ne me gêne pas tant que ça …explique Aziz.

Photographe à ses temps libres, Aziz est encore étudiant. Il se renferme de plus en plus dans un milieu d’artistes qui a l’avantage de rarement intimider les homosexuels. Concernant la loi 230, il pense que c’est le moment de la révoquer. « Mais la priorité reste sans doute, le changement des mentalités. Même si la loi change, le chemin reste long vers une égalité véritable. La discrimination actuelle me fait, petit à petit, perdre le sentiment d’appartenance à ce pays», ajoute Aziz avec amertume.

Militant de Droit de l’Homme depuis des années, «A» n’était pas seulement engagé dans le combat pour la cause des LGBT mais aussi dans plusieurs autres combats d’égalités et de libertés. Même s’il garde l’anonymat, plusieurs le reconnaissent en tant qu’initiateur de mouvement contre la politique de discrimination des homosexuels en Tunisie. Bientôt, son association de lutte contre l’homophobie sera mise en place pour créer « une sorte de refuge pour toutes les personnes LGBT ».

Je peux vous confirmer que je n’ai pas fait face à des incidents homophobes dans ma vie. Je ne me vois pas en tant que victime et je ne me considère pas comme minorité. Déjà, ce terme péjoratif n’est pas justifié car on ne peut jamais savoir si la communauté gay est minoritaire ou pas. À ce que je sache, jusqu’à maintenant, nous n’avons pas inventé de machine qui détecte l’orientation sexuelle de chacun. On ne pourra jamais savoir ce qui se passe entre les murs, ironise «A».

«A» considère que la constitution doit protéger la vie intime de ses citoyens. Selon lui, l’article 230 du code pénal est anticonstitutionnel. « Je demande aux députés à qui j’ai donné ma voix de supprimer l’article 230 du code pénal. 3 ans de prison ferme c’est trop et c’est stupide. À quoi bon s’occuper de la sexualité d’autrui ? À quoi bon chercher ce qui se passe dans le lit de X ou de Y? C’est de la violation de la vie intime. Si nous laissons cette porte ouverte, plusieurs autres droits vont être bafoués au nom du conformisme et de la religion » s’indigne «A».

Parmi les droits-de-l’hommistes, rares sont ceux qui affichent leur soutien à la cause des LGBT. Même certaines associations comme l’ATL (l’association qui lutte contre la transmission de maladies sexuellement transmissibles) s’arrêtent au niveau social et médical. La société civile ne met pas le doigt sur ce qui dérange le plus: le tabou de la sexualité dans la loi tunisienne.

Plusieurs nous disent que ce n’est pas le moment. C’est un faux argument, car si selon vous, l’État est occupé par la lutte antiterroriste, comment trouve-t-on le temps d’arrêter un tunisien et un suédois et de les condamner à 3 ans et 2 ans de prison ferme? Je fais là un appel aux pseudo-activistes, qui croient que les droits LGBT ne sont pas nécessaires: Arrêtez de lutter pour les droits humains! Si vous y croyez réellement, vous n’allez jamais les diviser ou les trier selon vos désirs, ajoute «A» en colère.

Il était bref au téléphone et voulait s’assurer que nous n’allions ni filmer ni mentionner son nom. « Je suis un homme marié. J’ai deux enfants et une famille … mais … je peux témoigner. Je le fais pour vous » nous dit «S» pour s’assurer de notre discrétion. Dans la réception d’un hôtel au centre-ville, il nous accueille avec un sourire gêné. Enveloppé dans un long manteau noir, «S» garde une légère barbe de lassitude. Ses yeux clairs et sa chevelure lisse, racontent une jeunesse révolue plutôt séduisante.

Jadis, je prenais ma sexualité à la légère. Je pensais que ma différence n’était qu’un cauchemar qui hantait mes nuits et nourrissait mes moments de solitude. J’étais et je suis encore l’homme correct qui incarne l’idéal tunisien. Après des études supérieures en architecture, je me suis marié avec une fille de bonne famille. J’avais hâte de me marier en pensant que cela allait corriger mes fantasmes. J’ai des enfants que j’adore. J’ai réussi ma vie professionnelle… Mais je ne suis pas heureux, avoue «S» avec regrets.

« Toute ma vie se résumait à vouloir cacher mes désirs. Je suis arrivé au point de refuser de faire la bise entre cousins ou amis (dit-il en rigolant). Jusqu’au jour où j’ai commencé à fréquenter des forums sur Internet. Même derrière mon pseudonyme, j’étais timide et très méfiant. Petit à petit, je me suis lâché tout en gardant mon identité cachée. Je n’ai jamais accepté de rencontrer des LGBT en groupe. Ces derniers organisent, régulièrement, des rencontres. J’optais plutôt pour les discussions privées à caractère érotique. J’ai eu quelques aventures, mais sans succès… Ma jeunesse passée, il y avait peu de propositions attirantes et vraiment sincères », raconte «S».

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Sans aucun espoir de changement, «S» n’espère rien pour lui mais plutôt pour les générations futures. Il estime que sa réussite sociale n’est qu’un mensonge. « Une maison de carton fragile, qui peut s’effondrer à tout moment », rajoute «S» pour décrire sa vie.

Je suis d’une famille normale de classe moyenne. J’entretenais une relation très solide avec mon père qui me comprenait beaucoup plus que ma mère. Malheureusement, il est décédé il y a quelques années. Avec ma mère, cela n’a jamais été vraiment facile. Nous sommes très différentes l’une de l’autre, commence à raconter «K».

Elle a 25 ans et vit chez sa mère. En relation amoureuse avec une jeune femme depuis des années, «K» ne s’affiche pas en tant que lesbienne. Elle craint, comme la plupart de ses semblables, la répression et l’exclusion de la société. Militante dans un parti de gauche progressiste, «K» affirme que l’existence d’une loi contre l’homosexualité installe chez elle, même implicitement, « une peur permanente de se trouver un jour, dénoncée par des ennemis ou des inconnus ».

Concernant ses expériences elle affirme : « après l’université, j’ai vécu plusieurs aventures mais je n’ai jamais été satisfaite. Et puis, tout d’un coup, j’ai décidé de m’ouvrir sur d’autres horizons. Quand j’ai côtoyé des lesbiennes, ce fut comme une révélation! J’ai compris que j’avais trouvé ma place et que c’est ce que je cherchais depuis tout ce temps! Au début, j’étais sur un nuage. Le monde des homosexuels me paraissait vaste, riche et sans fin. Puis, plus le temps passait plus je me rendais compte des problèmes. Tout d’un coup, mon monde est devenu progressivement petit par les restrictions et l’obligation de faire attention partout. C’est devenu invivable », se désole «K» avant de confirmer qu’elle ne quittera jamais la Tunisie et qu’elle continuera la lutte pour arracher ses droits.

La Tunisie s’accroche encore à la politisation de l’intime, qui stigmatise le mouvement de libération individuelle récemment commencé. Depuis le 14 Janvier, quelques médias ont parlé de l’homosexualité en gardant une approche moralisatrice pour éviter les critiques. Le seul homme politique qui a osé en parler, est Samir Dilou, à l’époque où il était ministre des Droits de l’Homme. Son seul commentaire consistait à aider les personnes LGBT à se faire soigner d’« une déviation psychologique ». En contrepartie, les efforts de la société civile demeurent invisibles et n’arrivent pas à briser le silence. Si selon «A», la volonté de mobilisation manque considérablement chez les grandes structures de la société civile, les victimes, quant à elles, évitent la confrontation et préfèrent rester dans l’ombre.

Trouvé sur Nawaat, presse tunisienne, 28 février 2015.

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