[actu] Ukraine : retours sur la Kyiv Pride

e17746c-0b1e67b64506de6649942d04c975d3fe-360x240Malgré les tensions dans le pays, la menace de l’ultra-droite et l’inaction du gouvernement pro-européen pour l’avancée des droits, la deuxième gay pride d’Ukraine a eu lieu. Elle s’est terminée par des échauffourées entre flics et fascistes au moment de la dispersion. Articles du média gauchiste Révolution permanente et du mass média Le Monde (9 et 6 juin 2015).

Après la dispersion de la Kyiv Pride, le mouvement LGBTI en Ukraine est pris en étau

Le 6 juin, autour de 200 personnes défilaient lors de la deuxième Marche des fiertés organisée en Ukraine, malgré les menaces de la droite ultra-nationaliste qui gagne du terrain après son rôle lors des manifestations de Maïdan. Après quelques minutes de marche les manifestants ont été chargés par plusieurs douzaines de militants néo-nazis. Le résultat final est de plusieurs dizaines de manifestants blessés, entre vingt-cinq et trente contre-manifestants arrêtés et cinq policiers blessés. La Kyiv Pride reflète aujourd’hui la situation tendue dans le pays où le mouvement LGBTI se retrouve pris en étau entre le gouvernement qui les instrumentalise, sans vouloir avancer sur leurs droits, et une extrême-droite fascisante sans contrôle, mais utile objectivement au gouvernement.

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Les illusions de Euromaïdan

Lors de la dernière Moscow Pride, interdite pour la 10ème année consécutive,le gouvernement russe mettait sous les verrous trois organisateurs de la marche, malgré les résolutions (très menaçantes, on peut l’imaginer) de la Cour européenne des droits de l’homme. Alors que les médias européens criaient au scandale et condamnaient la répression que Poutine fait aux LGBTI russes, cette semaine c’est sous le nouveau régime pro-européen, allié à Hollande et Merkel, que l’on agressait les LGBTI.

Une loi semblable à la loi d’interdiction de la « propagande homosexuelle » avait été adoptée en octobre 2012 en Ukraine, pour être rejetée en janvier 2015. Pour les dirigeants pro-UE du nouveau régime, l’homophobie était liée au gouvernement pro-russe précédent, et assurait qu’il n’y aurait plus de nouvelles lois homophobes. La communauté LGBTI espérait qu’une victoire du mouvement pro-européen de Maïdan signifierait l’éloignement du modèle post-soviétique répressif des droits LGBTI. Des manifestant-e-s de la Kyiv Pride de cette année ont déclaré que « nous aussi nous étions sur Maïdan », réclamant la chute deViktor Ianoukovytch dans les manifestations massives où l’on trouvait une droite libérale pro-UE, des jeunes exigeant la « démocratisation » d’un pays soumis aux oligarques et une extrême-droite fascisante autour de Svoboda et Pravyi Sektor.Mais les espoirs ont été vite déçus lorsque le nouveau gouvernement et le parlement majoritairement pro-UE ont refusé d’instituer l’interdiction législative de discrimination pour motif d’orientation sexuelle au travail.

Le nouveau maire de Kiev, Vitali Klitschko, est un personnage avec un long CV. Les médias internationaux l’avaient introduit au monde entier comme l’ancien boxeur professionnel devenu dirigeant de la révolution Euromaïdan. François Hollande l’avait reçu avec le président de l’Ukraine, Petro Porochenko et Bernard Henri-Lévi, en mars 2014 à l’Elysée.

C’est ce même représentant de l’ouverture vers l’Europe qui avait demandé initialement aux organisateurs de la Kyiv Pride d’annuler la marche, car celle-ci « attiserait la haine » dans un pays toujours en guerre civile. Déjà, en 2014, la marche avait été annulée parce que la mairie de Klitschko ne garantissait pas la sécurité de militants LGBTI.

Le mouvement LGBTI dans l’étau

Cette année, les négociations avec la mairie ont duré un mois, avec des rendez-vous quotidiens, sans pour autant que la mairie s’engage à assurer la sécurité des manifestants. Klitschko avait déclaré que s’il respectait les libertés individuelles, il ne « défendait pas les gays et les lesbiennes ». Or quelques jours avant la marche, Porochenko avait affirmé le « droit constitutionnel » à tenir la Kyiv Pride cette année, comme gage aux puissances impérialistes de l’« ouverture » du régime issu des manifestations de Maïdan. Effectivement, une interdiction aurait été difficile à assumer auprèsdes partenaires européens de Porochenko.

Finalement, la police a essayé d’assurer une protection minimale pour les manifestants, notamment parce que des diplomates comme l’ambassadeur suédois ou des représentants du gouvernement allaient se rendre à la manifestation. Des bus étaient même prévus pour assurer l’exfiltration des personnes présentes, sauf que les entreprises de transport n’ont voulu prendre que les journalistes et les ambassadeurs.

Entre les douzaines de contre-manifestants armés de cocktails molotov, couteaux ou pétards explosifs, se trouvait Pravyi Sektor, organisation politique et militaire néo-nazie, qui a joué un rôle majeur dans la révolution Euromaïdan. Aujourd’hui, ils sont plusieurs de leurs militants à combattre les troupes pro-russes dans l’Est de l’Ukraine. Pourtant, il se trouve qu’ils ont quelques points en commun avec la police de Poutine : ils refusent que l’Occident introduise l’ « idéologie LGBT ».

Lorsque Pavlos Fyssas, rappeur antifasciste était assassiné par des militants de Aube Dorée à Athènes, c’est toute la direction du parti néo-nazi grec qui était emprisonnée. Cela montre que malgré la crise la bourgeoisie grecque est encore suffisamment forte pour attaquer et maitriser ce type de groupes d’extrême droite. Au contraire, le régime ukrainien est aujourd’hui trop faible pour le faire. Cela qui explique le fait que les ultra-nationalistes de Pravyi Sektor ou d’autres groupuscules réussissent à s’opposer avec violence aux forces de l’ordre et à blesser plusieurs policiers lors de la Kyiv Pride. La police n’est plus suffisante, depuis les manifestations de Maïdan, pour contrôler et pour réprimer, c’est pour cela que les classes dominantes font appel aujourd’hui à ces groupuscules pour faire le « sale boulot » …

Publié le 09/06/15 sur le média gaucho Révolution permanente.

Une Gay Pride dans la violence à Kiev

Incertaine jusqu’au tout dernier moment, la deuxième Gay Pride de l’histoire ukrainienne s’est tenue, samedi 6 juin à Kiev. Elle s’est achevée dans la violence.

Incertaine jusqu'au tout dernier moment, la deuxième Gay Pride de l'histoire ukrainienne s'est tenue, samedi 6 juin à Kiev. Elle s'est achevée dans la violence.

Les organisateurs de la « marche de l’égalité » avaient multiplié les précautions, et tenu secret jusqu’au dernier instant le lieu du rassemblement. Environ 200 personnes – plus que lors de l’édition 2013 – y ont participé, marchant quelques centaines de mètres le long des rives du Dniepr, dans le quartier excentré d’Obolon, protégées par un déploiement policier extrêmement imposant.

Plusieurs diplomates européens étaient présents, ainsi que deux députés du parti du président, Petro Porochenko. En plus des drapeaux arc-en-ciel et des pancartes réclamant « l’égalité », quelques tambours avaient été sortis pour tenter de donner à l’événement un air festif, malgré les insultes et les menaces lancées par des contre-manifestants d’extrême droite. Comme en réponse au slogan nationaliste « L’Ukraine au-dessus de tout », les marcheurs ont scandé « Les droits de l’homme au-dessus de tout ».

Des groupes d’extrême droite interpellés

Seul incident notable pendant le défilé, un policier a été atteint par une bombe artisanale, laissant derrière lui une large flaque de sang. Mais les organisateurs avaient apparemment négligé un point : le moment de la dispersion du rassemblement. Celui-ci s’est vite mué en une course-poursuite effrénée entre policiers, contre-manifestants masqués et décidés à en découdre, et manifestants pris au piège dans le dédale des cours du quartier. On a pu voir des groupes de manifestants apeurés tenter d’arrêter des véhicules en pleine rue pour échapper aux coups, d’autres essayer d’échapper discrètement à la nasse.

Une trentaine de membres de groupes d’extrême droite ont été interpellés, parfois violemment. Plusieurs blessés ont été emmenés à l’hôpital, dont au moins deux membres des forces de l’ordre.

Les groupes d’extrême droite avaient très ouvertement fait part de leur intention d’empêcher la tenue du défilé. Dmitro Iaroch, dirigeant du parti ultranationaliste Pravy Sektor, avait notamment expliqué que malgré la mobilisation de nombre de ses membres sur le front, son groupe et d’autres groupes seraient bien présents. « Les représentants du mouvement politique et militaire Pravy Sektor seront obligés d’empêcher la réalisation de ces projets destructeurs des valeurs familiales, de la morale et de l’image traditionnelle des êtres humains », écrivait-il sur Facebook.

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« Tout ça sert les ennemis du pays, expliquait avant le début de la marche un jeune homme au look de skinhead mais venu, assurait-il, en « simple voisin ». « Comment vont réagir les gens des régions du Sud et de l’Est, où il y a encore des tensions, en voyant cette horreur ? L’Ukraine est un pays traditionaliste, et on veut nous pousser dans les bras de l’Europe décadente. »

« Les autorités font le minimum »

Avant de faire l’essentiel pour que les violences restent limitées, les autorités avaient de leur côté tout fait pour décourager les organisateurs. Vitali Klitschko, l’ancien boxeur devenu maire de Kiev, a laissé planer jusqu’au dernier jour la menace d’une interdiction, et sans cesse repoussé les réunions consacrées à la sécurité de l’événement. Il a aussi exhorté les organisateurs à reporter la marche « en raison de la guerre qui continue dans l’est de l’Ukraine ». En 2014, il la qualifiait d’« événement de divertissement ».

C’est finalement le président Porochenko qui a paru trancher, vendredi lors d’une conférence de presse. Précisant que lui-même ne participerait pas à l’événement, le président a estimé qu’il ne voyait « aucune raison d’y faire obstruction, s’agissant d’un droit constitutionnel de chaque citoyen ukrainien ».

Une interdiction paraissait également difficile à assumer vis-à-vis des partenaires européens de l’Ukraine. La garantie d’un traitement équitable des personnes homosexuelles sur leur lieu de travail fait par exemple partie des mesures réclamées par l’UE à Kiev avant de lui accorder un régime d’exemption de visa. Mais la loi antidiscrimination votée par le Parlement en 2014 ne fait aucune mention de l’orientation sexuelle.

« Les autorités font le minimum, regrettait dans le défilé Anna Chariguina, un membre du Forum LGBT. Nous aussi, nous étions sur Maïdan, nous espérions que la démocratisation s’accompagnerait de plus de tolérance. Mais le climat est encore menaçant pour ceux d’entre nous qui osent afficher ouvertement leur sexualité. La guerre a radicalisé les esprits et mis sous le tapis ces sujets-là. »

Par Benoît Vitkine, journaliste du mass-média Le Monde, le 6 juin.
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