Cuba : Les homosexuels après la Révolution cubaine

dd3ecbdcd3e8930f310f6a7067007d11-4_3Fragments du livre “Cuba. Depuis la Révolution de 1959″ de Samuel Farber, publiés en décembre 2011 sur le site HAVANA TIMES.

Même si les femmes cubaines n’ont pas été autorisées à s’organiser de façon indépendante pour articuler et défendre leurs intérêts, elles bénéficièrent de différentes manières du processus révolutionnaire. Certaines formes de sexisme patriarcal ont été affaibli, comme le pouvoir des hommes au foyer.

L’intégration des femmes dans les forces productives et la mise en œuvre sporadique de politiques d’action positive ont conduit à une  plus grande différenciation professionnelle chez les femmes et a augmenté le nombre de femmes ayant des postes importants dans l’économie et la société.

Cependant, il se passa le contraire pour les cubains gays, qui ont beaucoup souffert, surtout pendant les trente premières années de la Révolution. Pour des raisons discutées plus en avant, le gouvernement cubain contraint les gays à sortir du placard et il politisa la situation afin d’accentuer leur oppression. Dans le cadre de ce processus, les leaders révolutionnaires ont créés un climat dans l’opinion qui, en plus de ne pas tenir compte de l’oppression des homosexuels comme problème important, présentait la vie des homosexuels comme une manifestation de la décadence sociale.

Par exemple, quand en 1967, la Chambre des Lords a accepté le rapport Wolfenden et qu’il abolit les lois contre la sodomie en Grande-Bretagne, la presse cubaine présenta l’événement comme un exemple de déclin de l’Empire britannique. Bohemia, la revue le plus influente à Cuba, présenta le début du mouvement de libération gay aux États-Unis avec une caricature qui montrait d’une manière très désobligeante deux hommes en train de se marier dans une église. (160)

Une longue série d’événements marquent les moments les plus forts dans la trajectoire de la persécution des homosexuels cubains menée par le gouvernement révolutionnaire. Déjà en 1962, le gouvernement mena un raid massif, connu comme “la nuit des trois P” – pour prostitas, proxenetas et pajaros*. Des milliers de personnes furent arrêtés et transportés au siège de la police et dans les prisons de La Havane. L’opération” inclut des raids aveugles dans certains quartiers, tels que celui de Colon près de la Vieille Havane et connus pour avoir une forte concentration de prostituées. Ceci a été accompagné par des détentions ciblés de personnes qui avaient  été signalés comme sexuellement déviantes dans les listes préparées par les CDRs**. C’est ainsi que le célèbre dramaturge Virgilio Piñeira finit par être arrêté à son domicile dans la banlieue de La Havane. (161)

Dans son discours du 13 mars 1963, à l’Université de La Havane, Fidel Castro attaqua les enfants oisifs de la bourgeoisie qui imitaient Elvis Presley et organisaient des “spectacles efféminés gratuits” et il souligna que ce n’était pas facile de rééduquer un adulte homosexuel ou, selon ses propres mots, “un arbre qui avait poussé tordu”. Aucune mesure drastique ne fut prise contre les homosexuels, mais pour les jeunes qui aspiraient devenir homosexuels ce fut une autre affaire. Fidel ajouta qu’il avait observé que la campagne cubaine ne pas produisait pas d’homosexualité en tant que sous-produit 162.

Puis, en 1965, le gouvernement créa les UMAPS*, où durant environ trois ans les homosexuels avec les Témoins de Jéhovah gay, de nombreux catholiques pratiquants, des membres des sociétés secrètes afro-cubaines comme les Abakuá**** et d’autres “déviants ont été obligés de fournir leur force de travail de façon mal rémunérés, ils ont été enrégimentées par l’État cubain. (163) À la même époque, le gouvernement créa également le Centre pour l’éducation spéciale pour les enfants considérés comme “efféminés” et pour les enfants de mères célibataires, qui sont considérés comme des enfants courant le “risque” de devenir homosexuels. Il fut nécessaire de séparer ces enfants des écoles publiques, car on croyait qu’ils pouvaient “infecter” leurs camarades de classe. (164)

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L’année révolutionnaire international de 1968 coïncida avec une “offensive révolutionnaire” sur l’île dirigée par l’État cubain. Mais cette attaque n’était pas une attaque contre les structures puissantes et oppressive de l’État ou du secteur privé comme cela arriva dans les villes de Mexico, de Chicago, de Paris et de Prague, mais contre les secteurs les plus pauvres et les plus marginaux de ce qui restait de la bourgeoisie cubaine.

Pour s’assurer qu’il ne restait plus aucun recoin de l’économie cubaine hors de son pouvoir et de son contrôle, l’État s’empara et ferma toutes les petites entreprises, y compris les nombreux petits bars et les petites caves du pays.

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Cette offensive s’est accompagnée d’une nouvelle persécution des homosexuels et des prostituées. Dans son discours du 28 septembre 1968, pour marquer le huitième anniversaire de la fondation des CDR, Fidel Castro dénonça la jeunesse cubaine qui selon lui vivait de façon “extravagante”. Cela comprenait ceux qui portaient des cheveux longs et qui s’habillaient de façon élégante, signe d’une dégénérescence morale qui finirait par les amener au sabotage politique et économique.

Selon Castro, ces jeunes tentaient d’introduire dans le pays une version renouvelée du Printemps de Prague avec des prostituées dans les rues, la traite des blanches, le parasitisme et l’affaiblissement idéologique. Il proposa comme moyen de les rééduquer de façon disciplinaire de les contraindre à des travaux à la campagne. (165)

Aux déclarations de Castro et d’autres porte-paroles de la Révolution, suivirent une série de raids contre des garçons et des hommes aux cheveux longs à qui on taillait publiquement les cheveux par la force et contre les filles accusées d’être des débauchées en s’habillant en minijupe et que l’on envoyait au travail forcé dans les campagnes. 165 En février de cette même année Castro purgea et emprisonna la micro faction” des vieux communistes et en août il soutenu l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie.

Suivi le “Quinquenio gris”***** qui débuta en 1971 avec la décision du Congrès national de la culture et de l’éducation de ne plus tolérer “les homosexuels reconnus» en dépit de leur “valeur artistique” pour l’influence qu’ils pourraient avoir sur la jeunesse cubaine. Les homosexuels qui pouvaient directement influencer la jeunesse par la voie artistique et culturelle seraient  transférés à d’autres organisations que celles de la culture et de l’éducation..

Le Congrès décida également d’exclure de tous les groupes d’artistes représentant de Cuba à l’étranger quiconque sape le prestige de la Révolution. (166) Certains artistes et certains intellectuels parvinrent à repousser les effets drastiques des résolutions de 1971 en raison de leurs liens avec des institutions qui jouissaient d’un certain degré d’influence sur Fidel Castro, en partie parce qu’ils étaient dirigés par des personnalités de renommée internationale. Ce fut le cas du Ballet national d’Alicia Alonso, de l’ICAIC (Institut cubain de l’art cinématographique et de l’industrie) d’Alfredo Guevara et de la Casa de las Americas (Maison des Amériques), le centre culturel de renommée international de La Havane dirigé par Haydée Santamaria.

La marginalisation officielle des homosexuels fut anticipée par l’Université de La Havane quand elle inaugura, à la moitié des années soixante, une campagne homophobique qui dura trois années, au cours desquelles on distribua de la littérature contre les homosexuels en encourageant les étudiants à répudier les malades, on jugea ainsi publiquement plus d’une centaine de personnes. Les dépurations contraignaient les étudiants inscrits dans certains départements à participer à de grandes assemblées et à contester les attitudes et le comportement politique de leurs compagnons.

Le “jury” de l’organisation officielle des étudiants et de la Jeunesse communiste appela plusieurs personnes à témoigner en public, mais beaucoup craignaient de défendre les étudiants accusés par peur de finir par être accusés eux-mêmes. L’objectif de ces purges était les “contre-révolutionnaires” et les homosexuels, qui la plupart du temps finirent par subir des verdicts unanimes de culpabilité suivis par leur expulsion de l’université et l’enregistrement des délibérations de l’assemblée dans leurs dossiers personnels (dossiers tenus constamment par l’Etat au sujet des performances individuelles et au sujet du comportement au travail). Des dossiers qui commencèrent à être utilisés à cette époque. Les purges devinrent si fréquentes qu’à la fin de 1965, le leader de l’Union communiste promis de les conduire en dehors des heures scolaires. (167)

Les années quatre-vingt ont débuté avec l’exode de Mariel****** au printemps de 1980. Le gouvernement  utilisa cette opportunité pour non seulement pour ridiculiser et attaquer les homosexuels, mais aussi pour les forcer à quitter le pays. Il y eut des Cubains “normaux” qui se firent passer pour des homosexuels pour obtenir du gouvernement les permis et le visa nécessaire pour quitter l’île. Selon les estimations du Groupe homosexuel national de travail  des États-Unis, 125 000 personnes quittèrent Cuba à cette époque, entre 2000 et 10 000 d’entre eux étaient gays et lesbiennes. (168)

Peu de temps après l’exode de Mariel la crise du sida éclata aux États-Unis, dans d’autres pays et enfin elle arriva à Cuba. Le gouvernement cubain a réagi en adoptant certaines mesures parmi les plus dures au monde. En 1986, il ordonna des tests obligatoires pour détecter l’infection par le VIH. Les premiers tests furent consacrés aux groupes à risque : ceux qui avaient voyagé à l’étranger après 1975, spécialement ceux qui avaient servi comme soldats en Afrique. En avril 1991, 9 771 691 personnes, presque toute la population de l’île, avait subi les tests. Ceux qui furent déclarés positif pour le VIH (902 cas au début de 1993) ont été mis en quarantaine dans des sanatoriums et lorsqu’ils atteignirent un stade avancé du sida ont les transféra vers des hôpitaux. (169)

Tout en reconnaissant que les personnes infectées reçurent une bonne attention médicale et qu’ils jouirent de bonnes conditions de vie dans les sanatoriums, et même si la politique d’isolement parvint à réduire la propagation, le gouvernement cubain fut critiqué au niveau international pour la dureté inutile de sa politique et la manière impitoyable par laquelle il exerça son contrôle. Cette politique força des gens en bonne santé à vivre de façon recluse et improductive en attendant que leur SIDA se développe, un processus qui pouvait durer plusieurs années, pour enfin finir leur vie à l’hôpital.

Comme le signala Marvin Leiner, le gouvernement eut recours à la politique d’isolement des malades, au lieu de mettre en place un programme éducatif sur le sida. À l’égal de la réponse des victoriens anglais à la crise de la syphilis et de la gonorrhée en son temps, les dirigeants cubains ont essayé de maîtriser le sida en évitant un débat public et une campagne d’éducation sur le sexe sûr pour limiter la transmission du virus (170).

La politique d’isolement fut abandonné dans les années quatre-vingts dix, mais les premiers choix que le gouvernement adopte pour faire face au SIDA sont très révélateurs de l’énorme pouvoir du Léviathan cubain et de son attitude historique envers les choses du sexe et de l’éducation sexuelle.

160. Allen Young, Gays under the Cuban Revolution (San Francisco: Grey Fox Press, 1981), 31.

161. Carlos Franqui, Portrait de famille avec Fidel (Barcelone: Editorial Seix Barral, 1981), 280-86; Manuel Zayasl, “Carte de l’homophobie”, cubaencuentro, 15 février 2010, http://

cubaencuentro.com/es/cuba/articulos/mapa-de-la-homofobia-10736.

162. Departamento de Versiones Taquigráficas del Gobierno Revolucionario, “Discours prononcé par le Commandant Fidel Castro Ruz, premier ministre du gouvernement révolutionnaire de Cuba, à la cérémonie de clôture pour commémorer le sixième anniversaire de l’assaut du palais présidentiel célébré sur les marches de l’Université de La Havane, 13 mars 1963″, cuba.cu, www.cuba.cu/gobierno/discursos/1963/esp/f130363e.html.

163. Ian Lumsden, Machos, Maricones and Gays: Cuba and Homosexuality, Philadelphie : Temple University Press, 1996, 65-70.

164. Lillian Guerra, Gender Policing, Homosexuality and the New Patriarchy of the Cuban Revolution, 1965-1970, Social History, 35, n°. 3 (August 2010): 274.

165. Hugh Thomas, Cuba : The Pursuit of Freedom, New York: Harper and Row, 1971, 1435, Guerra, «Genre de police, l’homosexualité et le Patriarcat Nouveau”, 271.

166. Citation tirée de sélections revue hebdomadaire Granma, le 9 mai 1971, 5, dans l’affaire Young, Gays sous la Révolution cubaine, 32-33.

167. Jeunes, Gays sous la Révolution cubaine, 53; Guerre, “Gender Policing, Homosexuality and the New Patriarchy,” 271.

168. Young, Gays under the Cuban Revolution, 34-35.

169. Marvin Leiner, Sexual Politics in Cuba: Machismo, Homosexuality and AIDS, Boulder, CO: Westview Press, 117-18.

170. Ibid., 122, 138.

*Oiseaux, l’un des nombreux termes péjoratifs utilisés à Cuba pour désigner les hommes homosexuels)

**Les Comités de défense de la Révolution ont été créés en 1960 pour faire face aux sabotages et actions ennemies, ils ont ensuite évolués selon les besoins. Les CDR existent dans chaque rue, ils s’occupent du nettoyage, des dons de sang, des vaccinations, mais aussi de la surveillance des habitants du quartier. Il s’agit d’un véritable réseau d’espionnage gouvernemental.

***Entre 1965 et 1967, des centaines d’homosexuels hommes et femmes, et de travestis furent envoyés dans des unités militaires d’aide à la production (UMAP). Il s’agissait de camps de concentration où ils devaient être “rééduqués”: les prisonniers vivaient dans des conditions très difficiles, ils étaient astreints au travail forcé, étaient mal nourris et subissaient des mauvais traitements.

****Abakuá est une fraternité masculine afro-cubaine à rites initiatiques. Ses  groupes fermés ont tous pour emblème le léopard , preuve de prouesse virile au combat et d’autorité politique dans leurs communautés. Le système de croyances et de rites Abakuá dérive de ceux des esprits censés vivre dans la forêt.

*****  Le “quinquenio gris”, les quinze années grises durant lesquelles on officialisa le “réalisme socialiste” comme unique voie possible pour les artistes en les soumettant à la censure.

******L’exode de Mariel eu lieu entre avril et octobre 1980. Le régime de Fidel Castro expulsa près de 125 000 cubains, considérés comme contre-révolutionnaires. Ils embarquent au port de Mariel en direction des côtes de Floride.

CUBA SINCE THE REVOLUTION OF 1959
A Critical Assessment
Copyright Samuel Farber 2011.
(www.haymarketbooks.org)

Trouvé sur www.polemicacubana.fr

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