[actu] Parler de la sexualité redevient tabou à l’école

088Un enseignant d’un lycée parisien a été dénoncé par un syndicat de parents d’élèves pour son décryptage trop explicite de certaines œuvres littéraires.

Article du massmédia gay Yagg le 4 décembre.

Un prof gay témoigne : Parler de la sexualité redevient tabou à l’école

L’actualité récente montre que la «Manif pour tous» veut contrôler l’école et s’y infiltrer. Mais avant même que l’organisation homophobe soit parvenue à son but, «une chape de plomb est retombée» sur l’école, témoigne sur Yagg Damien, enseignant en français dans un lycée parisien (son prénom a été modifié). Ce professeur a eu la surprise d’apprendre qu’un syndicat de parents d’élèves avait envoyé un courrier à l’académie de Paris pour se plaindre de lui, après avoir évoqué les sous-entendus sexuels présents dans Manon Lescaut, œuvre jugée scandaleuse au XVIIIe siècle et à la dernière page du Père Goriot de Balzac.

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«DÉPASSER LES PRÉJUGÉS»
«On peut m’accuser de tout et n’importe quoi, on demande ma tête sans m’avoir rencontré parce qu’une élève dit que j’ai des propos tendancieux!», s’étonne Damien. Mais ce qui l’a le plus gêné dans cette affaire, c’est de ne pas avoir été protégé par l’institution scolaire: «En privé, l’inspectrice affirme qu’il ne faut pas castrer les textes, mais derrière, on n’a aucun soutien.»

Le quotidien de Damien est désormais fait «d’autocensure». «Auparavant, le 1er décembre, pour la journée de lutte contre le sida, je faisais un cours de vocabulaire, se souvient-il. Rapport bucco-génital, rapport anal, rapport vaginal, pénétration: des mots qui permettent aux élèves d’être en mesure de décrire leurs actes devant un médecin ou pour un test de dépistage. Ça se passait très bien. Mais maintenant, je ne le fais plus, parce que ça n’a plus de sens de prendre ce risque.»

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Le fait qu’il ait organisé des séances de théâtre au cours desquels il fait travailler les élèves sur leur respiration, notamment en s’appuyant sur le périnée – «Je leur expliquais qu’il est situé entre l’anus et la zone pubienne» – a aussi fait scandale. «Mieux respirer, ça les aide à mieux gérer leur stress, par exemple lorsqu’il faudra passer l’oral du bac de français, estime Damien. On est à l’école pour apprendre à dépasser les préjugés, mais maintenant, parler des fessées de Rousseau dans Les Confessions ou du désir charnel exprimé par Ronsard lorsqu’il écrit “Mignonne, allons voir si la rose”, je n’oserais plus le faire. Et de plus en plus de professeur.e.s se taisent sur la question de la sexualité.»

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IMPASSE SUR LES ŒUVRES D’AVANT-GARDE
Le mot «genre» étant devenu tabou dans les établissements scolaires, Damien fait désormais l’impasse sur les œuvres d’avant-garde qui explorent ce thème. «Tous les ans, en seconde, je faisais un cours sur les contraintes et les libertés, explique l’enseignant. Je les initiais à la façon dont le langage peut constituer une contrainte, mais que l’individu peut malgré tout être libre en créant sa propre langue au sein du langage codifié. Je leur présentais alors Anne Garréta, lesbienne et agrégée de grammaire, qui a écrit Sphinx, une histoire d’amour où le genre des protagonistes n’est pas dévoilé. Puisque le genre n’est pas marqué, je faisais réfléchir mes élèves à leurs projections, à la différence entre identité sexuelle et identité sexuée. Cette année, je ne l’ai pas abordé et des collègues m’ont d’ailleurs conseillé d’éviter cette œuvre.»

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«IL N’A QU’À PAS S’AFFICHER!»
Pour Damien, «on a d’un côté le mariage pour tous et le plan égalité, mais de l’autre une homophobie décomplexée et une liberté de parole réduite». Avec un élève qui lui a demandé rendez-vous et qui voulait visiblement évoquer la question de sa propre orientation sexuelle, Damien a été cash: «Je suis pédé, tu es pédé et on s’en fout». C’est la première fois que cet adolescent a pu parler de son homosexualité avec une personne adulte et il en a été soulagé, selon Damien, qui ajoute aussitôt: «Mais plus jamais je n’oserai faire ça, alors qu’on était dans un petit lycée de banlieue à l’époque. Les collègues diraient: “Il n’a qu’à pas s’afficher!” On vit dans une étrange et inquiétante situation, dans laquelle la parole est verrouillée, mais où on a droit à un psychodrame parce qu’on a donné un protège-cahier rose à un garçon. Mais l’école doit justement affirmer que oui, c’est possible pour un garçon.»

  Publié par Julien Massillon, massmedia Yagg
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