Vous ne vous sentez pas oppresseurs. Vous baisez comme tout le monde, ça n’est pas votre faute s’il y a des malades ou des criminels. Vous n’y pouvez rien, dites-vous, si vous ôtes tolérants. Votre société, car si vous baisez comme tout le monde, c’est bien la vôtre, nous a traité comme un fléau social pour l’État, l’objet de mépris pour les hommes véritables, sujet d’effroi pour les mères de famille. Les mêmes mots qui servent à nous désigner sont vos pires insultes.
Avez-vous jamais pensé à ce que nous ressentons, quand vous mettez à la suite ces mots « salaud, ordure, tapette, pédé » ? Quand vous dites à une fille : « sale gouine » ?
Vous protégez vos filles et vos fils de notre présence comme si nous étions des pestiférés.
Vous êtes individuellement responsable de l’ignoble mutilation que vous nous avez fait subir en nous reprochant notre désir.
Vous qui voulez la révolution, vous avez voulu nous imposer votre répression. Vous combattiez pour les noirs et vous traitiez les flics d’enculés, comme s’il n’existait pas de pire injure.
Vous, adorateurs du prolétariat, avez encouragé de toutes vos forces le maintien de l’image virile de l’ouvrier, vous avez dit que la révolution serait le fait d’un prolétariat mâle et bourru, à grosse voix, baraqué et roulant des épaules.
Savez-vous ce que c’est, pour un jeune ouvrier, que d’être homosexuel en cachette? Savez-vous, vous qui croyez à la vertu formatrice de l’usine, ce que subit celui que ses copains d’atelier traitent de pédale ?
Nous le savons, nous, parce que nous nous connaissons entre nous, parce que nous seuls, nous pouvons le savoir.
Nous sommes avec les femmes le tapis moral sur lequel vous essuyez votre conscience.
Nous disons ici que nous en avons assez, que vous ne nous casserez plus la gueule, parce que nous nous défendrons, que nous pourchasserons votre racisme contre nous jusque dans le langage.
Nous disons plus : nous ne nous contenterons pas de nous défendre nous allons attaquer.
Nous ne sommes pas contre les « normaux », mais contre la société « normale ». Vous demandez : « Que pouvons-nous faire pour vous ? » Vous ne pouvez rien faire pour nous tant que vous resterez chacun le représentant de la société normale, tant que vous vous refuserez à voir tous les désirs secrets que vous avez refoulés.
Vous ne pouvez rien pour nous tant que vous ne faites rien pour vous-mêmes.
FHAR, Avril 1971