« La prison n’a pas a être réformée » interview avec Cece McDonald

url« Cece McDonald a été envoyée en prison pour s’être défendue contre un crime de haine. À l’occasion du premier anniversaire de sa libération, en janvier 2015, elle nous parle de comment lutter contre l’oppression. »

 

« LA PRISON N’A PAS À ÊTRE RÉFORMÉE »
— une interview avec Cece McDonald —

par Andrea Abi-Karam

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« Stop à la guerre faite aux femmes trans racisées ! Contre le racisme, la transphobie et les agressions fascistes ! LIBÉREZ CECE McDONALD –MAINTENANT ! »

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Il y a un an aujourd’hui, Cece McDonald sortait de prison. Son crime ? S’être défendue face à une agression raciste et transphobe au cours de laquelle sa joue a été tranchée par un verre qui a aussi lacéré sa glande salivaire, blessure qui a requit 11 points de suture.

L’histoire de Cece a gagné une attention internationale, et a été largement perçue comme la persécution d’une femme trans de couleur, envoyée en prison pour s’est défendue contre un crime de haine. « Liberté pour Cece » est devenue une cause célèbre, avec une pétition signée par 18 000 personnes demandant sa libération, et avec l’actrice trans Laverne Cox s’inspirant de Cece pour interpréter son personnage dans Orange is the New Black.

Le 5 juin 2011, lorsque Cece, 23 ans, et quatre ami-es à elle, tou-tes Africaines-Américaines et en majorité LGBTQ, ont quitté la Schooner Tavern à Minneapolis, un groupe de gens blancs à l’extérieur a commencé à leur lancer des insultes, du genre « meufs à bites », « pédé » et « nègres ». S’en est suivie une bagarre, au cours de laquelle Dean Schmitz, un des agresseurs au corps tatoué de croix gammées, a été poignardé avec une paire de ciseaux. Cece a été la seule personne arrêtée.

Risquant une peine pour meurtre pouvant aller jusqu’à 40 ans d’emprisonnement, elle a accepté une négociation de plaidoyer de culpabilité, et a finalement passé 19 mois en prison. Durant son incarcération, elle a été placée dans deux établissements pour hommes.

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Mais on ne peut pas parler de Cece McDonald sans parler aussi de Michael Brown et d’Eric Garner, de Rekia Boyd et d’Yvette Smith, de comment l’État et la police ciblent, emprisonnent et tuent systématiquement les personnes de couleur. Il y a moins d’un an, George Zimmerman était acquitté du meurtre de Trayvon Martin, sur le principe de l’auto-défense, ce qui a engendré le mouvement #blacklivesmatter.

La violence d’État et l’industrie carcérale menacent les personnes queers et trans de couleur depuis leur plus tendre enfance, et la crainte qu’elles suscitent habite leurs corps depuis leur premier souffle, et ce avant toute résistance organisée.

L’automne dernier, le groupe californien Critical Resistance, qui milite pour l’abolition de la prison, a invité Cece dans la Bay Area. Je lui ai posé des questions sur les stratégies abolitionnistes, sur l’importance d’une communauté créative à l’intérieur, et sur les moyens de lutte contre l’oppression systémique.

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ANDREA ABI-KARAM :

Quelles sont les choses que tu aimerais voir émerger du mouvement pour l’abolition de la prison ?

CECE MCDONALD :

Si on veut pouvoir parler d’abolition de la prison, il faut aussi qu’on parle de comment on fait pour éviter que les gens aillent en prison. Comment est-ce qu’on fait évoluer les politiques actuelles et comment est-ce qu’on change les choses pour les gens qui sont en prison. Et il ne s’agit pas juste de réfléchir aux crimes et à comment les prévenir –la réalité est que tous les crimes ne peuvent pas être évités.

Il y aura toujours des gens ignorants. Il y aura toujours des gens remplis de haine. À partir de là, on sait que les cas de crimes de haine et de violence à l’encontre des femmes et des femmes trans, que la violence à l’encontre de la communauté LGBTQIA, et que les crimes à l’encontre des personnes de couleur continueront à exister.

Le crime continuera à exister, alors comment fait-on pour parler d’abolition sans oublier que la haine est une réalité ? Nous devons admettre ça, et trouver comment gérer le fait qu’il y a des gens qui ne sont pas faciles à convaincre que : je suis une bonne personne en tant que personne Noire ou que je suis une bonne personne en tant que personne trans. Nous devons comprendre ça. Alors peut-être seulement qu’on pourra se demander à quoi pourrait réellement ressembler la justice.

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ANDREA ABI-KARAM :

Est-ce que tu peux nous en dire plus sur le mouvement abolitionniste de la prison comparé au projet réformiste de la prison ?

CECE MCDONALD :

J’ai l’impression qu’une vraie réforme serait la fin pure et simple de la prison : un démantèlement du système carcéral. On ne peut pas vouloir réformer et corriger la prison et en même temps vouloir y mettre un terme. C’est soit l’un, soit l’autre.

Si on questionne un-e vrai-e abolitionniste sur l’idée de réforme, elle/il réfléchirait aux moyens de : 1/ libérer les prisonnier-es, 2/ démanteler l’industrie carcérale, et 3/ trouver des solutions alternatives et de nouvelles méthodes de gestion des crimes, des punitions et de la justice, tout en sachant que personne n’a le même point de vue sur ce que ça pourrait être.

Le terme « réforme » a lui-même besoin d’être redéfini. Nous ne voulons pas d’une prison différente, nous ne voulons plus de prison du tout. Selon moi, la prison n’a pas à être réformée.

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ANDREA ABI-KARAM :

J’aimerais savoir ce que tu penses des alternatives à l’industrie carcérale comme les processus de responsabilisation communautaire ou de justice transformatrice ?

CECE MCDONALD :

La justice transformatrice est un sujet très complexe et délicat, comme nous le savons tou-tes. Certaines personnes ont une vision très honnête et équitable de la justice transformatrice, mais nous savons aussi que le système n’est pas prévu pour être honnête et équitable, et qu’il est au contraire conçu pour briser les groupes marginalisés, afin de « diviser pour mieux régner ».

Alors, selon moi, la justice transformatrice n’est pas quelque chose d’essentiel, c’est juste un truc créé pour donner de l’espoir aux gens et nous faire croire qu’il y a de l’équité et de la justice dans le système judiciaire, ou qu’il pourrait y en avoir. Alors que ce n’est pas possible. Dans un certain sens, on pourrait même dire que la justice transformatrice est incompatible avec la lutte pour l’abolition de la prison.

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ANDREA ABI-KARAM :

Tu parlais toute à l’heure des personnes qui sont des acteur-ices passif-ves au sein de la (résistance à la) dynamique capitaliste, raciste, et tout le reste. Quelles sont tes propositions pour faire en sorte que les gens ne soient plus dans cette position ?

CECE MCDONALD :

J’ai l’impression que bien souvent les gens ne se manifestent pas. Ne pas être passif-ve à propos de quelque chose, c’est s’éduquer et s’exprimer sur cette chose, comprendre où se trouve la réalité, où est la vérité, puis assimiler ces notions grâce à ses propres privilèges, et bouger son cul !

Je crois que ce point est très important, car j’ai l’impression que bien souvent des gens s’autoproclament allié-es ou militant-es, mais on ne peut être ni l’un-e ni l’autre en restant passif-ves. Tu ne peux pas te dire militant-e et rester assis-e à l’arrière en disant : « Oh, j’ai fais des cookies pour récolter de l’argent pour la bonne cause ». La réalité, c’est que faire des cookies ne va pas aider la cause, et ne va pas aider à soutenir les gens ou à faire entendre leur voix. Je ne peux pas rester dans la même pièce qu’un groupe de gens qui pensent qu’organiser une bouffe collective c’est un vrai travail militant. Nous avons besoin d’un mouvement, de choses concrètes, et d’être honnêtes là-dessus.

Les gens qui ont des privilèges peuvent vraiment faire changer des choses, tu vois de quoi je parle ? J’aimerais savoir combien de personnes blanches riches interpellent et corrigent leurs ami-es blanc-hes riches quand elles/ils disent des conneries. Car c’est ça être un-e vrai-e allié-e. C’est ça être un-e vrai-e militant-e. Il ne s’agit pas juste d’aller marcher dans la rue avec une pancarte. C’est bien aussi, hein, mais qu’en est-il des trucs qui se passent en privé ? Qu’en est-il des merdes qui se produisent juste à côté de moi ? C’est ça qui compte avant tout, bien plus que de rester assis-e là et de s’autoproclamer militant-e.

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ANDREA ABI-KARAM :

Quel est ton rapport aux activités créatrices ? Que reste-t-il comme place pour la créativité à l’intérieur des prisons ?

CECE MCDONALD :

J’ai vu tellement de talents à l’intérieur des prisons où j’ai été, et j’ai aussi vu des spectacles qui parlent de différentes personnes qui vivent dans diverses prisons du pays, alors je sais que beaucoup de gens écrivent de la poésie, dessinent, font des illustration magnifiques et hyper détaillées, chantent des chansons, créent des morceaux de rap, et d’autres trucs dans le genre, et parlent ainsi de l’industrie carcérale, du fait d’être enfermé-es ou d’être piégé-es dans le système. C’est en soi assez logique que certaines personnes créent spontanément en prison, puisqu’il y a une vraie diversité d’individu-es au sein du système carcéral.

Il y a des gens qui viennent de partout, qui ont tou-tes des parcours différents, et on utilise ça comme des outils pour nos créations artistiques : ça se ressent dans la façon qu’on a d’écrire nos poèmes, d’écrire notre musique, de tracer nos dessins. Une grande partie de ce que j’ai publié sur le blog quand j’étais enfermée a été inspirée par mon parcours, par comment j’ai grandi et comment mon esprit s’est construit, à travers l’école et l’éducation pleine d’amour que j’ai reçu. Toutes ces choses se sont exprimées de manière très personnelle, laissant voir qui j’étais en tant qu’individue.

Ça m’a donné le sentiment que les gens comprenaient qui j’étais, pas juste une autre personne au sein du système, mais une personne qui existait aussi à travers ses rêves et ses aspirations. J’avais toujours ça en tête.

Je me mettais à écrire et les mots se dessinaient sur le papier, puis les gens se connectaient à moi à travers mon blog, ayant ainsi accès à mon point de vue d’individue incarcérée.

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ANDREA ABI-KARAM :

Tu as dit avoir une relation positive avec ton officier de probation. Comment est-ce que ça se passe avec lui, comparé aux interactions que tu avais avec le personnel pénitentiaire ?

CECE MCDONALD :

On doit bien comprendre que les gens ont des aptitudes et des prédispositions. Les métiers attirent des gens qui ont des penchants intériorisés particuliers. Du coup, tu risques de trouver des gens racistes ou sexistes ou classistes ou agistes ou toute autre chose dans le genre.. qui travaillent dans des endroits où tu vas quotidiennement, que ce soit au bureau de poste, au MacDo, ou en prison.

Quand on en vient aux matons, le truc c’est que ce sont des gens qui pensent qu’il est de leur devoir de contrôler et de mater des personnes racisées et de les faire rentrer dans le rang, tu vois ce que je veux dire ? Ça craint que ces gens travaillent au sein de l’industrie carcérale, hein, tu vois ce que je veux dire ? Mais c’est la réalité. Ces personnes existent et ont des métiers, et elles travaillent dans des endroits où on se rend quotidiennement.

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Mais ces personnes ne sont pas toutes mauvaises. Il peut aussi arriver qu’une de ces personnes ait une certaine sympathie pour toi, peut-être parce que tu es une femme, même si peut-être par ailleurs elle ne t’aime pas parce que tu es Noire, ou parce que tu es une personne de couleur, ou qu’elle ne t’aime par parce que tu es queer, ou parce que tu es trans, ou parce que tu ne te conformes ni au genre féminin ni au genre masculin.

ANDREA ABI-KARAM :

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais ajouter ?

CECE MCDONALD :

J’aimerais juste que les gens prennent conscience du monde dans lequel on vit. J’aimerais que les gens ouvrent leur esprit et leur cœur aux choses qui se passent dans le monde. Grâce aux avancées technologiques qui ont permis l’existence des réseaux sociaux, on voit tous les jours ce qui se passe : brutalité policière, racisme, crimes de guerre, famine, pauvreté. On en voit tellement qu’on a pris l’habitude de baisser les bras et de juste dire « Oh, ben, ça craint », puis de retourner à notre vie quotidienne, de s’arrêter au premier Starbucks et d’oublier tout ça.

Je me débats toujours avec des choses liées à l’incident qui m’est arrivé, j’apprends encore à faire confiance aux gens. Je sais qu’il y a des gens ici et là qui sont de bonnes personnes, qui veulent que les choses changent, qui croient en l’amour, qui croient à l’empathie et à la compassion. On a besoin de plus de gens comme ça. Je sais que c’est difficile, mais il faut qu’on arrête d’apprendre la haine à notre jeune génération. Je sais que c’est possible.

J’essaye vraiment d’être plus assidue et constante dans mon travail militant, et de rassembler divers groupes de gens aux parcours différents. Si nous voulons savoir ce qu’est la justice, l’égalité et la crainte, alors nous devons nous ouvrir au changement, avec nos esprits et nos cœurs. Nous devons incarner ces changements, aller de l’avant et mettre fin à tous les « -ismes » qui nous entravent en tant qu’être humain-es, qui nous empêchent d’avancer. Car c’est ce que le système veut. Ils ne veulent pas qu’on progresse, qu’on exprime notre vrai potentiel d’êtres humain-es capables de nous rassembler malgré tous ces -ismes, et capables de nous réaliser en tant qu’êtres humain-es.

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« Des femmes trans sont tuées CHAQUE JOUR & vous pensez que le combat est terminé parce que vous pouvez mettre un anneau sur un doigt ? » –Cece McDonald

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La version originale de cet article a été publiée le 13 janvier 2015 et est disponible ici. Texte traduit de l’anglais (USA) par Noomi B. Grüsig, le 21 mars 2015. Trouvé sur Badasses.

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